East Punk Memories, Lucile Chaufour, 30 mars
Lucile Chaufour connaît bien le mouvement punk; ancienne étudiante aux Arts Décoratifs de Paris, membre de groupes rock et jazz (Primitiv Combo, Duck & Cover, Sayag Jazz Machine), elle créée le label Makhno Records pour distribuer les morceaux composés par des punks interdits de scène en Hongrie. Ces énervé-e-s, elle les a rencontrés et filmés dans les années 1980; elle comprend alors que les revendications des punks de l’est traduisent un profond désarroi au sein de la jeunesse biberonnée au communisme. Trente ans après, elle les a retrouvés pour une série d’interviews qui se mêlent aux archives super 8 de l’époque. East Punk Memories est un regard rétrospectif parfois nostalgique qui dresse aussi le bilan de l’héritage du mouvement punk et des nouvelles désillusions après l’avènement du libéralisme.
Le film, s’il décrit la spécificité du mouvement en Europe de l’est, montre bien la tension qui a traversé les punks un peu partout et s’est traduite par la montée en puissance des skinheads. La tentation nationaliste, présente en Hongrie dès les années 1980 pour des raisons territoriales (revendications de terres attribuées à la Roumanie après le démantèlement de l’empire austro-hongrois lors du traité de Trianon), a aussi existé en Grande-Bretagne avec la montée du chômage faisant suite à la désindustrialisation. C’est ce qu’illustrait admirablement le film écrit et réalisé par Shane Meadows, This is England où l’on suivait l’évolution d’un groupe de jeunes punks gangrénés par le racisme.
En France aussi, même si la réalisatrice semble complètement le passer sous silence, on peut établir des liens très étroits entre mouvement punk et mouvance skin ou oi. Qu’on songe ainsi à un groupe comme LSD (aka La Souris déglinguée) suivi à ses débuts par pas mal de skins. On aurait peut-être aimé que les relations entre style musical et expression politique soient davantage explorées par le documentaire. Les témoins du documentaire mentionnent Johnny Rotten et les Clash comme seules influences musicales alors qu’au moins au début du mouvement, comme le montre This is England avec les morceaux de The Specials ou Toots and the Maytals, les punks européens écoutaient beaucoup de labels variés produisant des groupes de rock mais aussi de ska.
La faiblesse du film qui se concentre essentiellement sur des destins personnels pour évoquer une histoire collective est aussi paradoxalement sa force. Les mouvements punks du début des années 1980 étaient en fait un incroyable magma créatif et politique où s’agitaient et surnageaient de jeunes révoltés. Si en Hongrie, les punks rêvaient de plus d’argent et de liberté-valeurs capitalistes-, ils rejoignaient leurs cousins français en dénonçant toute forme d’autorité visant à limiter l’expression personnelle.
En Hongrie, la répression et la censure étaient bien plus fortes qu’en France du fait de la surveillance permanente imposée par le régime soviétique, mais les aspirations libertaires des punks européens étaient au fond les mêmes. Le mérite du film est de montrer qu’elles font cruellement défaut à la jeunesse aujourd’hui, très esclave de catégorisations normatives imposées par le marketing et les media.
Les interviews montrent que ces ex-punks -loin de l’image de dégénérés violents qui leur est souvent associée- tiennent un discours construit, argumenté, lucide… Ils ont vieilli, se sont mariés, sont devenus institutrice, ingénieur informatique, menuisier ou continuent de vivre par et pour la musique; ils ont parfois tourné le dos à leurs idéaux, faute de mieux… mais ils ne sont pas dupes d’une société où la propagande communiste a été remplacée par la dictature des marques et où la mainmise sur la richesse par un groupe réduit d’apparatchiks est toujours de mise à travers le règne des grands patrons soutenus par les leaders politiques actuels.
Date de sortie : 30 mars 2016 (1h 20min)
De Lucile Chaufour
Avec Kelemen Balázs, Miklós Tóth, Mozsik Imre…
Genre : Documentaire
Nationalités : Français, Hongrois
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