Cinélatino 2016 : on a aimé, un peu, beaucoup…

A mi-semaine du festival Cinélatino, une petite sélection de films en compétition (documentaire, fiction) ou en avant-premières… On consulte le programme (ou les liens films) pour les prochaines séances !

On a beaucoup aimé :

  • Cuerpo de letra, Argentine, Compétition Documentaire, Julian d’Angiolillo.

Plongée dans l’armée de peintres de rue recrutés pour propager la bonne parole des candidats pendant les élections législatives du pays. Étrangers aux processus de starification dont bénéficient certains graffeurs de renom, ces arpenteurs sous tension ont pourtant chacun leur signature et se disputent âprement divers espaces urbains – échangeurs d’autoroute, parkings, immenses avenues désertes- à la nuit tombée.

Film palimpseste qui questionne notre rapport aux milliers d’inscriptions éphémères éparpillées sur les murs des villes, Cuerpo de letra brasse avec succès plusieurs thèmes : mémoire et art, appropriation personnelle de l’espace public, travailleurs de l’ombre. Si le film se déroule Argentine, les réalisateurs ont pris soin de brouiller les frontières entre fiction et documentaire. En refusant d’expliciter, par les commentaires d’une voix off, les liens entre personnes ou situations, ils offrent la possibilité au spectateur de s’immerger dans une expérience de cinéma total, éminemment sensorielle. Superpositions de plans, effacement des perspectives, contreplongées et ralentis,  le travail sur la lumière et le cadre est remarquable et la direction d’acteurs, non intrusive, est empathique.

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  • La sombra, Argentine, Compétition documentaire, Javier Olivera.

Comment grandir dans l’ombre d’un père adulé des foules ? Javier Olivera est un « fils de… » Son père, réalisateur et producteur argentin, est à l’origine du succès national et international, dans les années 1970 et 1980, de la société Aries. Pour remonter le fil de la mémoire, Javier Olivera filme la destruction de l’immense manoir où il vécut avec sa famille.

Sur une idée de départ originale et pertinente –il n’existe pas de mémoire mais des lieux de mémoire– le réalisateur s’efforce de déconstruire le mythe paternel. Oui, son père menait grand train mais ses amis les plus proches étaient des intellectuels marxistes. Oui, son père était un artiste, consumé par son l’érection de son œuvre cinématographique, mais pour vivre dans le luxe, il sortait aussi des films commerciaux, portés par un duo de comique qui n’auraient rien eu à envier à nos Charlots nationaux.

En documentant la destruction du domaine familial, Olivera finit d’achever et d’enterrer le père.  Il déboulonne la statue du piédestal et s’autorise à exprimer des sentiments qu’il avait tus : sa culpabilité à vivre dans l’opulence, protégé de la dictature et de la faim, contrairement au majordome adepte de magie noire ou des bonnes paraguayennes. Lucide ou sévère ( ?), il affirme ainsi : « mon père essayait de remplir le vide qui l’habitait en devenant le centre d’attraction de milliers de regards », Javier Olivera et Carlos Olmedo déconstruisent aussi le son en le distordant jusqu’à l’excès (une chanson romantique des années 1970, une bande sonore d’un film de série B destiné à Roger Corman…) pour souligner les fausses notes d’une vie, en apparence idyllique. Un film très construit, qui parvient néanmoins à entraîner le spectateur dans son cheminent réflexif. A découvrir.

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  • Siembra, Colombie, Compétition Fiction, Angela Osorio Rojas et Santiago Lozano Alvarez.

Drame lyrique en noir et blanc pour le premier long-métrage d’un jeune duo colombien (Angela Osorio Rojas et Santiago Lozano Alvarez). A travers l’itinéraire de plusieurs membres d’une communauté afro-cubaine contraints d’habiter en ville après la confiscation de leurs terres (voir aussi le film Sabogal qui traite en partie du sujet), deux mondes se confrontent. Celui des jeunes, heureux d’habiter en milieu urbain pour se donner corps et âmes aux battles de rap, et celui des parents, essayant tant bien que mal de récréer un lien à la Nature via des rituels funéraires et des chansons mélancoliques. Envoutant, visuellement magnifique, Siembra est le récit d’une renaissance, malgré l’iniquité et l’absurdité du deuil

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  • Boi Neon, Brésil, Gabriel Mascaro, Découvertes fiction, également présenté au festival de Toronto.

Film « physique » sur le quotidien des vaqueros, chargés de préparer les chevaux et les taureaux utilisés pendant les rodéos brésiliens. Malgré la rugosité des sentiments, le réalisateur insuffle beaucoup de poésie à un récit assez plat. Pas vraiment d’enjeu dramatique, on suit sans déplaisir un groupe d’hommes muy machos qui se trimballent une femme et sa fille, toutes deux vaqueras et abandonnées par leur chef de famille. Une photographie qui fait la part belle aux contrastes et aux ambiances nocturnes, baignées du bleu et des paillettes des fêtes dansantes et des strip-teases réservés à cette communauté d’hommes en communion avec l’animal.

Rapprochement des corps et bestialité, non dans les rapports humains emprunts de tendresse et de sensibilité, mais dans la relation au travail – véritable manière et raison de vivre. Les vaqueros palpent du taureau, sentent le taureau et la bouse de vache, respirent comme des taureaux… Le réalisateur intègre à l’action une relation père-fille, esquissée puis assez vite abandonnée pour se recentrer sur deux rencontres amoureuses, toutes deux consommées lors de scènes crues mais terriblement efficaces.

C’est moins l’identification de l’homme ou de la femme à l’animal, suggérées sans grande subtilité lors de séquences dansées ou masquées esthétisantes, qui retiendra l’attention que l’habile brouillage des identités fondées sur le genre. Le héros principal, très viril et jaloux, sait aussi se montrer maternant et coquet. Il pratique la couture à ses heures perdues et tombe amoureux d’une femme qui cumule deux emplois. Le jour, elle est une vendeuse ambulante de parfums ultra-sophistiquée et le soir, une gardienne de nuit armée en uniforme. Quant à la maman de la petite fille, elle succombe aux charmes d’un jeune homme aux magnifiques cheveux longs : au milieu des animaux, les pulsions imposent leurs règles, au-delà des apparences.

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On a un peu aimé :

  • Aspirantes, Ives Rosenfeld, Brésil, Découvertes fiction, également sélectionné au festival de Karlovy Vary.

La descente aux enfers d’un jeune prodige du ballon rond qui voit tous ses espoirs s’envoler quand sa copine lui annonce qu’elle est enceinte. Le film repose entièrement sur les épaules du jeune acteur principal, Ariclenes Barroso, qui campe Junior, un bon petit gars au bord de l’implosion. Sur fond de rivalité fraternelle– le meilleur ami de Junior est parvenu à signer un contrat avec une équipe pro- le film oscille entre drame psychologiquegros plans sur le visage très expressif d’Ariclenes Barroso, effets visuels, notamment la scène introductive avec le stroboscope– et chronique sociale -moins réussie- vue sous le prisme des relations familiales. On regrettera le manque de souffle des séquences de match et la fin très abrupte.

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On a moins aimé :

En territoire Mapuche, depuis les années 1960, des femmes s’installent à flanc de montagne, près d’une rivière, pour mener une vie radicale, sans confort, à la merci des éléments. Madre de los dioses brosse le portrait de ces mères – car toutes ont entraîné leurs enfants dans cette singulière aventure de déracinement. Filmées en milieu naturel, sans dispositif élaboré, saisies dans leurs actions quotidiennes (cueillette, bricolage…), ces femmes se livrent sans fard à la caméra. Elles évoquent leurs souvenirs, leur vie d’avant le grand saut dans l’inconnu et la solitude des bois.

Puisque l’image importe ici moins que la parole, ces amoureuses de la transcendance s’adressent directement à la caméra, en réponse à des questions que l’on n’entendra pas. On aurait peut-être apprécié un peu plus de contextualisation, une présence même symbolique du réalisateur tant le documentaire manque de rythme. Filmées platement, ces femmes peinent à nous entraîner dans leur sillage ou à nous communiquer leur exaltation.

Il y aussi quelque chose d’assez dérangeant dans leurs témoignages… Récits de marginalités subies ou assumées, les histoires personnelles de ces femmes laissent les enfants, souvent nés de pères distincts au sein d’une même fratrie, de côté. Ils suivent leurs mères ou les quittent. Si l’on peut comprendre le refus d’une société occidentale consumériste et normative qui relègue la spiritualité au dernier plan, on sera surpris de constater que la quête de ces femmes les pousse à recréer des environnements encore plus étouffants et exclusifs que ceux qu’elles ont fuis. Au cœur de la montagne, les enfants élevées par ces mères matriarches vivent repliés sur eux-mêmes, dans un petit monde au fonctionnement sectaire, sans aucune ouverture sur l’extérieur. Quid de leur scolarisation, de leur formation professionnelle ?

S’il existe un point commun entre toutes ces femmes, c’est la volonté de rompre définitivement avec l’héritage familial et culturel en adoptant une nouvelle spiritualité. La chrétienne devient musulmane soufie, l’adepte des pratiques ésotériques embrasse le bouddhisme comme une bouée de survie… Cette redécouverte de soi à travers des rituels étrangers leur permet de créer de nouveaux codes et de s’auto-promulguer grandes prêtresses de nouvelles religions. Une manière peut-être d’exercer une forme de pouvoir auquel elles ne pouvaient accéder dans leur culture d’origine, à l’instar des plastic shamans analysés dans de nombreuses recherches anthropologiques.

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On n’a pas du tout aimé :

  • El silencio del rio, Colombie, Cine en Construcción 25 / Toulouse 2014, Carlos Tribiño Mamby.

A partir d’une excellente idée, filmer un pays en guerre en suivant un corps mort transporté par la rivière, le réalisateur accouche d’un film particulièrement agaçant, long (malgré une durée courte), qu’une belle photographie ne parvient pas à sauver du naufrage. Plans fixes sans intérêt, bande-son ultra-dramatique inopportune avec notamment le crincrin d’un violon mal accordé, personnages réduits à des ombres ou des caricatures (le fier paysan, l’enfant sauvage…), El silencio del rio se délite au fil de l’eau et notre patience avec…

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