Lady in the van, Nicholas Hytner, 16 mars
L’on se représente souvent l’écrivain comme un être tourmenté, torturé par des démons intérieurs, menant une existence passionnée le laissant aux portes de la folie… il existe pourtant de nombreuses figures d’auteurs dont les vies paisibles et quasi monotones s’inscrivent en porte-à-faux avec cette vision romanesque. Porté par une Maggie Smith au meilleur de son art, The lady in the van est surtout l’histoire d’un véritable écrivain britannique qui aspire à la tranquillité : Alan Bennett, ici interprété par l’acteur Alex Jennings (qui rappelle Truman Capote!)
Inspiré d’éléments biographiques et adapté d’une pièce de théâtre éponyme, dans laquelle Maggie Smith interprétait déjà le rôle de la clocharde Mary Shepherd, The Lady in the Van est certainement l’un des meilleurs films sortis en salles en 2016. Sous ses dehors de comédie dramatique au charme typiquement britannique, The lady in the van soulève de véritables questions philosophiques sans jamais perdre une once de légèreté. La charité : existe-t-elle vraiment ou est-ce le moyen trouvé par l’âme humaine pour se donner bonne conscience (et par là-même, paradoxalement se prouver sa supériorité morale) ? A travers les réactions suscitées par la présence inopportune mais finalement assez sympathique de cette ex-bonne sœur sans domicile fixe, le réalisateur brosse le portrait d’une Angleterre qui se rêve ouverte d’esprit mais reste étouffée par le poids des convenances.
Sans jamais sombrer dans la caricature, et sans aucune cruauté vis-à-vis de personnages pourtant peu amènes – le voisin égoïste et fat, l’ex-policier devenu maître-chanteur, la mère de l’auteur, jalouse de cette vieille dame qui sent mauvais- le réalisateur rend attachante une communauté d’artistes et de classes moyennes supérieures venues s’installer dans le quartier de Camden Town, déjà bohème dans les années 1970. Mais, au-delà de la reconstitution réussie de ce microcosme, la réussite du film réside dans le face-à-face Bennett-Shepherd, qui met en lumière les processus vampiriques à l’œuvre dans le travail d’écrivain.
Si le jeune auteur se défend dès le départ de s’intéresser à cette vieille folle, la caméra montre l’inverse : Shepherd sera son personnage, sa source d’inspiration. Tel l’entomologiste Stein avec Lord Jim (dans le roman de Joseph Conrad), Bennett se rapproche imperceptiblement de la SDF pour mieux l’observer, tenter de la comprendre en lui appliquant des raisonnements de naturaliste. C’est moins la bonté qui l’anime que le désir irrépressible de percer son mystère. Bennett a compris que sous le masque de l’excentrique, Shepherd est une femme qui préserve farouchement des secrets : il n’aura de cesse de vouloir se les approprier.
Bien entendu, au fil du temps, une sorte d’amitié se développe entre ces deux solitaires. Mais le procédé de split-personality (personnalité double) qui donne à voir au spectateur un Bennett agissant et un Bennett écrivant et surtout commentant ses actions souligne l’extrême froideur et la distanciation de l’auteur. Certes, Mary éveille des sentiments chez Alan; elle lui rappelle sa mère, qu’il a toujours considérée comme folle malgré son souci des normes. Mais si l’intimité avec cette dame aux sacs réveille certains souvenirs chez l’auteur, il s’en sert comme combustible pour écrire. Il ne souhaite pas la sauver, il sait que c’est impossible, il en fera juste un livre et tentera de demeurer le plus étranger possible aux événements qu’il relate.
L’écrivain tel qu’Alan Bennett l’a représenté dans son immense œuvre théâtrale est un individu qui n’a peut-être jamais connu le stade du trauma, l’écriture lui permet de maintenir à distance les êtres et les situations conflictuelles ou douloureuses. Son quotidien, constitué de routines rassurantes et de non-événements placides, n’est qu’une bulle de confort douillette d’où observer un monde en proie au tragique où hommes et femmes sont broyés par excès de passion et sentiments. Shakespeare l’avait déjà écrit des siècles auparavant.
Un film d’une délicatesse infinie.
Date de sortie : 16 mars 2016 (1h 44min)
De Nicholas Hytner
Avec Maggie Smith, Alex Jennings, Frances de la Tour…
Genres : Comédie dramatique, Biopic
Nationalité : Britannique
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