Film culte (8): Chungking Express, Wong Kar-Wai, 1996

Film intriguant qui sème parfois le spectateur en chemin, Chungking Express est devenu culte à plus d’un titre. Mr Geek, qui s’est assoupi pendant la projection-découverte l’autre soir, a eu une formule laconique mais pertinente : « il n’y pas d’histoire dans cette histoire. » Vrai… et faux. Certes le 4e film de Wong Kar-Wai ne comporte pas de scènes d’action virevoltantes; au contraire, il cultive une forme de rêverie permanente.

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Juxtaposition de deux récits qui auraient pu accoucher d’une paire de moyens-métrages, Chungking Express est un trésor d’ingéniosité. Déambulations et cavalcades nocturnes filmées caméra au poing dans les rues bondées de Hong-Kong, ralentis bleutés, intermèdes musicaux intimistes… Le spectateur est noyé sous un déluge d’images, de signes, de méta-commentaires musicaux. L’on pourrait craindre une pesanteur stylistique et c’est tout le contraire qui se produit, tant et si bien, que Chungking Express évoque une bulle de savon baladée par de dangereux courants d’air, prête à exploser à chaque instant…

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Sous ses allures de produit bricolé, Chungking Express cache donc une construction narrative et visuelle des plus élaborée. La nuit, personnage non crédité au générique, concoure à l’anonymisation des personnages. Soit deux flics, matricule n°223 (Takeshi Kaneshiro) et matricule n°663 (Tony Leung). Ils se croiseront l’espace d’un instant dans le fast-food (le Midnight Express) où travaille la serveuse Fay, qui rêve d’Amérique, au son du California Dreamin interprété par les Mamas & Papas, groupe des années 1960. Ce ne sera pas le seul anachronisme. Flic 223 est sur la piste d’un réseau de trafic de drogue qui le mènera dans la chambre d’hôtel (mais pas forcément plus loin) d’une héroïne blonde platine et lunettes noires, version fatiguée de la vamp des 50’s.

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Les deux policiers se remettent difficilement d’une rupture amoureuse. 223 se laisse trente jours avant de passer à une autre femme. Il est encore amoureux de son ex-fiancée et s’est fixé cet ultimatum comme un rituel. Chaque soir, il attend un appel qui ne vient pas et finit une boîte de conserve d’ananas en sirop qui porte la date fatidique, date de péremption de son amour pas encore complètement expiré.

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663, lui, s’est amouraché d’une hôtesse de l’air qui ne voit en lui qu’une partie de jambe en l’air entre deux vols. Point de ridicule ou de pathétisme dans la mélancolie de 663 et la pensée magique de 223; Wong Kar-Wai créée un faisceau de coïncidences et de correspondances poétiques, qui justifient à elles seules cet attrait pour le vide et l’absence

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A partir de cet effet de miroir, rendu encore plus palpable par la coupure brutale entre les deux récits, le réalisateur célèbre la fuite en avant de héros qui, prisonniers de leur propre imaginaire, sont condamnés à aimer des femmes évanescentes. Le café « Midnight Express » fait la jonction entre le quartier de Tsim Sha Tsui –labyrinthe cosmopolite où évolue 223- et le district de Central, centre financier, où travaille et vit 663. Deux lieux très différents mais où il est aussi aisé de se perdre. La criminelle en cavale est remplacée par une serveuse fantasque. Et deux nouveaux mondes vont entrer en collision. Faye est tombée sous le charme de 663. Exacte-opposée de son hôtesse de l’air sophistiquée, le policier ne la remarque pas. La jeune femme va s’efforcer de lui faire oublier sa rupture en éliminant toute trace du passé. Elle parvint à s’introduire chez lui, redécore son appartement en son absence, punaise des photos d’enfance, change l’eau de son aquarium, lui achète une peluche rigolote…

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Admiratrice secrète, Faye quitte sa bulle de confort. En plongeant dans les eaux troubles de 663, le monde du policier devient le sien et engloutit avec sa déferlante de sentiments l’imaginaire et l’identité de Faye. La fin ouverte et ambiguë, la dernière pirouette, méritent toute notre attention. Film pop acidulé, Chungking Express est aussi un conte moral sur les mirages de l’amour et la difficulté d’exister quand on se perd dans le rêve de l’autre.

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Date de sortie : 22 mars 1995 (1h 37min)
De Wong Kar-Wai
Avec Brigitte Lin Ching-hsia, Tony Leung Chiu Wai, Faye Wong, Takeshi Kaneshiro…
Genre : Drame
Nationalités : Hong-kongais, Chinois

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