La montagne magique, Anca Damian, 23 décembre
Lettre d’adieu d’un père à sa fille adorée, La montagne magique est un film d’animation inventif et touchant. La réalisatrice roumaine Anca Damian, déjà remarquée pour son deuxième long-métrage Le voyage de M. Crulic est revenue au festival d’Annecy avec l’adaptation d’un destin singulier, celui d’un artiste peintre polonais qui fut aussi compagnon d’armes du général Massoud.
Difficile de résumer ce récit hors normes qui trouve à s’incarner dans un film d’animation aux techniques surannées mais terriblement évocatrices. Pour rendre hommage à Adam Jacek Winkler, Don Quichotte des temps modernes, Anca Damian et Theodore Ushev (directeur artistique) ont opté pour une mise en images patchwork qui mêle habilement les photographies et les dessins des archives personnelles d’Adam Jacek à des coupures de presse, des collages et des aquarelles animées…
Incontestablement, ce refus de lisser l’ensemble contribue, avec la voix âpre du chanteur breton Miossec qui campe un improbable et pourtant très juste alter-ego cinématographique, à redonner ses lettres de noblesse à un art brut duquel Adam Jacek Winkler aurait très bien pu se réclamer. La quête de cet artiste bouffeur de bolchéviques, traumatisé à vie après l’extermination de 4500 officiers polonais par l’armée rouge à Katyn, est une fuite en avant. Le désir de mort, omniprésent, est le moteur de cette histoire incroyable qui scelle les destins d’un homme pétri de contradictions et de sa petite fille, délaissée, mais à jamais fascinée par son poète de père.
Vagabond céleste, Adam Jacek Winkler ne s’est jamais réellement fixé quelque part. Exilé à Paris où il se fait remarquer pour ses activités de militant anti-communiste, il passera de longues années à attendre un signe qui le décide à tout quitter, à risquer sa vie. Ce sera l’invasion de l’Afghanistan par les troupes russes en 1979. Adam fait son baluchon, promet à sa fille de rentrer vivant, avec dans ses bagages un cheval ailé. Là-haut, dans les montagnes et les grottes, le peintre connaît la peur, le froid, la faim… L’épisode afghan nous révèle un peu plus sa soif de liberté inextinguible, son amour du sublime qui prend source dans une attraction morbide pour le néant.
Idéaliste forcené, marginal risque-tout, vrai fou assoiffé de sang qui porte malgré tout un regard lucide sur ses rodomontades de vieux bouc… ? Adam Jacek semble tout cela et bien plus encore. La réalisatrice prend soin de ne pas trancher, de ne jamais juger. Et l’incandescence de la trajectoire déroutante de cet homme solitaire et pourtant terriblement humain illumine alors cette Montagne Magique, pari filmique risqué qui transporte le spectateur en terres inconnues.
Dans les toutes dernières images, la voix de Miossec fait place aux paroles saccadées et enthousiasmées du vrai Adam, filmé quelque temps avant sa mort -il se laissera mourir de froid au Mont Maudit, près d’Annecy… Et alors, la verve joyeuse et humaniste du poète amateur de girafes balaie la dimension guerrière de son existence. En quelques secondes, la réalisatrice réussit à nous faire accepter toutes les facettes de cet homme protéiforme et révèle la vraie nature de ce film aux contours étranges : un chant d’amour et de paix qui réunit plusieurs générations par delà les montagnes, les luttes ou les identités.
Date de sortie : 23 décembre 2015 (1h25min) – Projeté samedi 5 décembre au Forum des Images dans le cadre du Carrefour du Cinéma d’Animation
Réalisé par Anca Damian
Avec les voix de Miossec, Lizzie Brocheré
Genre : Comédie dramatique, Animation
Nationalité : Roumain, polonais, français
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