Le prophète, Roger Allers, 2 décembre 2015
Comment donner corps aux pensées poétiques et philosophiques de l’auteur américano-libanais Khalil Gibran ? Quelle adaptation pour son best-seller Le prophète, publié pour la première fois en 1923 et sans cesse réédité depuis ? L’actrice et productrice Salma Hayek, dont le grand-père a grandi au Liban, s’est attelée à la tâche et a réunit les fonds et les artistes nécessaires pour relever haut la main ce défi cinématographique. Un autre artiste d’origine libanaise l’a rejointe en la personne de Mika, le chanteur pop à succès. Il prête sa voix au narrateur et héros principal de cette singulière histoire, Mustafa, le poète et prophète dont les écrits considérés comme révolutionnaires lui ont valu d’assigné à résidence dans un pays indéterminé, bordé par la Méditerranée. Prenant son mal en patience, Mustafa continue d’écrire et de peindre espérant pouvoir rejoindre un jour sa patrie…
A l’origine, Le Prophète est une succession de textes poétiques sur l’amour, la mort, le travail et d’autres grandes questions philosophiques adressés à un peuple imaginaire, les habitants d’Orphalese. Afin de rendre cette œuvre littéraire accessible à un large public, le réalisateur et la productrice ont opté pour la création d’un univers fictif reliant chaque leçon de vie. Le narrateur joue ici le rôle d’un père de substitution pour Almitra, une petite orpheline qui a perdu la parole après le décès de son géniteur.
Alors qu’on annonce au prophète sa libération, Almitra se rend rapidement compte que les gardes ont reçu l’ordre de le conduire jusqu’à une prison de haute sécurité où il doit être abattu. Se heurtant à l’hostilité des villageois qui ne voient en elle qu’une sauvageonne indigne de l’attention du prophète, Almitra suit Mustafa partout pour essayer de le prévenir. Chaque rencontre ou situation inattendue (un mariage, un repas de fête, une course-poursuite) est l’occasion d’écouter l’un des poèmes du sage, le tout mis en images par la fine fleur de l’animation internationale.
Le prophète du réalisateur Roger Allers (surtout connu pour Le Roi Lion) est donc un film gigogne qui recèle plusieurs séquences d’animation aux tons et styles bien distincts. Tomm Moore, réalisateur irlandais à qui l’on doit Brendan et le secret de Kells et plus récemment Le chant de la mer, signe le chapitre consacré à l’amour et livre plusieurs images qui rappellent les tableaux de Gustav Klimt : « L’amour ne donne rien que lui-même et ne prend rien que de lui même. »
Sur le mariage, Joann Sfar laisse libre cours à son imagination fertile et accouche d’une merveilleuse scène de tango qui illustre l’équilibre nécessaire entre intimité et liberté pour vivre harmonieusement une relation maritale : « Aimez-vous mais ne faites pas un lien d’amour : qu’il soit plutôt une mer mouvante entre les rivages de votre âme (…) Et dressez vous côte à côte mais pas trop près. Car les piliers qui soutiennent le temple se dressent séparés, et le chêne ne s’élève point dans l’ombre du cyprès. »
Quant à l’animateur polonais Michal Socha, il a été chargé du segment sur la liberté dont il a peint chaque image pour composer une magnifique illustration des dangers des régimes liberticides et des craintes qu’ils génèrent : « le siège de votre frayeur est dans votre cœur et non point dans la main de celui qui vous fait peur. »
D’autres séquences sont consacrées à la mort (Paul et Gaétan Brizzi) ou la nourriture (Bill Plympton avec la technique du crayon de couleur sur papier bond), impossible de toutes les citer. Mais, la réussite du film, outre ses qualités esthétiques indéniables, tient à sa capacité à retranscrire l’immense bienveillance et humanité derrière les écrits de Khalil Gibran. En ces temps troublés où le Moyen-Orient est souvent synonyme de violence, courrez voir ce film qui offre espoir et beauté à toute la famille.
Date de sortie : 2 décembre 2015 (1h30min)
Réalisé par Roger Allers
Avec Salma Hayek-Pinault, Mika, Nicolas Duvauchelle…
Genre : Animation
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