Le printemps des quais : la BD inspirée de l’Histoire du Film
Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas cosignent une très belle bande-dessinée intitulée Le Rendez-Vous des Quais du nom d’un film « maudit » longtemps interdit de projection. Tout commence à Marseille, dans les années 1930, le petit Séraphin dit Paul découvre le cinéma grâce à son instituteur. Sa mère, poissonnière, et son père, docker, travaillent au port. Séraphin Carpita est élevé dans une famille ouvrière aimante qui lui inculque le sens du travail bien fait mais lui apprend également à tenir tête à toute forme d’oppression. Lorsque son père meurt en décembre 1939 au début de la seconde guerre mondiale, c’est tout naturellement que Séraphin entre en clandestinité pour aider la résistance. A la libération, devenu à son tour instituteur, il créé Ciné-Pax avec d’autres compagnons de lutte. La structure produira de nombreux films documentant l’évolution du monde ouvrier.
La BD montre bien comment l’engouement des premières luttes et des grands rassemblements (le Festival Mondial de la Jeunesse à Berlin en 1951 où il rencontre celle qui deviendra son épouse, Maguy) fait place à la désillusion avec le Printemps de Prague et le couperet de la censure qui s’abat sur son film. Les choix scénaristiques opérés – la présence de nombreux flashbacks et prolepses– reflètent les tensions qui animaient les milieux communistes des années 1950 à 1970 et éclairent la personnalité de Paul, homme aux multiples facettes. Que ce soit devant ses classes ou sur les docks, essayant de déjouer la vigilance des policiers, Paul Séraphin souhaitait transmettre des valeurs de fraternité et de solidarité. La BD ne se contente donc pas de retracer le destin incroyable du film, c’est aussi un hommage à un homme militant jusqu’à sa mort.
A l’origine, le Rendez-Vous des Quais doit s’appeler Le printemps a besoin des hommes. Paul a décidé de se lancer dans la réalisation de son premier long métrage en 35 mm avec une idée bien précise en tête : immortaliser et honorer la résistance de nombreux dockers marseillais refusant de prendre part au chargement d’armes à destination des militaires de la Guerre d’Indochine. Il tourne sans autorisation, épaulé par des camarades du parti qui font office d’acteurs, de techniciens etc… Marcel Pagnol lui prête une salle de doublage. Sa petite équipe ne cesse de grandir, impliquant de plus en plus les habitants des quartiers filmés. La dernière scène d’affrontement entre les dockers et les CRS sera filmée à Port-de-Bouc. La ville est magnifiquement illustrée par Olivier Thomas; les différentes ambiances de Marseille, une ville qui ne se limite pas qu’au Vieux Port ou à la Canebière, sont très bien retranscrites. Enfin, l’ouvrage propose plusieurs pistes pour résoudre l’énigme de la censure. L’avis de censure de la Commission de contrôle des films cinématographiques -qui interdit toute projection du film en 1955- est présenté dans le Dossier Historique à la fin de la BD. Les copies du long-métrage furent saisies après une projection marseillaise dont le lieu exact (le cinéma Saint Lazare, le quartier de la Belle de Mai ?) demeure à ce jour inconnu malgré les recherches des historiens du cinéma social. Les auteurs soulignent le rôle du Parti Communiste dans la « mort » du film; les représentants du comité national encouragèrent sa réalisation puis exigèrent plusieurs modifications et coupes jugeant le résultat final trop mièvre et amateur. Aujourd’hui, Paul Carpita est considéré comme « le chaînon manquant entre le néoréalisme italien et la nouvelle vague. » Ken Loach et Robert Guédiguian lui ont rendu hommage.
Il faut attendre le début des années 1980 pour que le film refasse surface. Le 4 septembre 1981, Jack Lang, jeune ministre de la Culture, est en visite à Port-de-Bouc. Il boude le Festival du Film Américain de Deauville pour assister à une rétrospective sur les mémoires ouvrières. Des amis de Paul l’alpaguent à propos du Rendez-Vous des Quais. La machine est relancée : on met la main sur une copie entreposée aux Services des Archives du Film. Au début, Carpita s’insurge en découvrant qu’il manque plusieurs minutes, la fameuse scène où le personnage principal, Robert, retourne travailler malgré la grève, trahissant ainsi ses compagnons communistes. Le film sera finalement montré en 1988 dans les quartiers Nord pour la fête du cinéma puis il est « adoubé » par Jean Rouch qui le présente à la cinémathèque à l’occasion du bicentenaire de la révolution. Aujourd’hui, près de 25 ans après sa redécouverte, le buzz est un peu retombé : la BD tombe donc à point nommé pour poursuivre le travail de mémoire entrepris par l’humble Paul qui se considérait comme un amateur alors qu’il jouait bel et bien dans la cour des grands.
Le Printemps des quais
Pascal Génot/ Bruno Pradelle/ Olivier Thomas
Date de parution : 16/01/2014
Éditeur : Soleil Productions
Collection : Quadrants Astrolabe
Genre : BD Historique
Merci à Claire Ughes, attachée de presse à Soleil Production, de m’avoir fait découvrir le film de Paul Caprita via cette très belle BD.
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