Film Culte (6) : Portrait d’une enfant déchue, Jerry Schatzberg, 1970
Réédité par Carlotta Films en 2011, Portrait d’une enfant déchue témoigne de l’immense talent de Jerry Schatzberg, cinéaste quelque peu tombé dans l’oubli… Pourtant, aux cotés du groupe de réalisateurs Italo-Américains bien connus (Martin Scorsese, Michael Cimino, Francis Ford Coppola), il participa à l’aventure du Nouvel Hollywood en signant plusieurs œuvres intimistes, avec pour toile de fond l’enfer new-yorkais des héroïnomanes, Panic à Needle Park, ou les petites routes oubliées de l’Amérique industrielle (L’épouvantail avec Al Pacino et Gene Hackman, palme d’or à Cannes en 1973)
Avec Faye Dunaway dans le rôle de Lou Andreas Sand, double fictionnel d’Anne Saint Marie, égérie des podiums de mode dans les années 1950, Schatzberg était sûr de réaliser une œuvre d’une beauté plastique indéniable. Son actrice, il sait la diriger, il a été son compagnon pendant plusieurs années ; il parvint à tirer d’elle ce qu’elle a de plus émouvant et de fragile. En top modèle au bord du suicide, Faye Dunaway semble habitée. Elle trouve peut-être là le plus beau rôle de sa longue carrière. Construit comme un puzzle – le titre original est d’ailleurs Puzzle of a Downfall Child– Portrait d’une enfant déchue est un film fragmenté, à l’image de la mémoire abîmée d’une femme hantée par son passé.
Photographe chez Vogue, Esquire et d’autres revues, Jerry Schatzberg prit de nombreux clichés d’Anne Saint Marie. A partir des confidences de son top-modèle préféré, le réalisateur compose un portrait de femme sous forme d’intrigue policière. Le spectateur s’identifie au photographe qui tente de déchiffrer les zones d’ombres d’une héroïne mystérieuse qui, se livrant à tous les regards, demeure pourtant une énigme. Dans le film, l’excellent acteur Barry Primus, est manifestement l’alter-ego de Jerry Schatzberg. Le personnage qu’il interprète, Aaron Reinhardt, ne se satisfait pas de l’image ternie renvoyée par la femme qu’il convoitait jadis. Il s’efforce de percer les secrets d’un traumatisme initial que la magie cinématographique du montage tente de nous faire revivre.
Le spectateur navigue de flashbacks en flashbacks; le réalisateur suggère ainsi des voies d’interprétation au désespoir qui habite le top-modèle auto-destructeur… Mais, en optant pour une mise en abime avec un récit gigogne (le personnage du photographe réalise un documentaire sur Lou et tente de reconstituer avec elle son tumultueux passé), le film prend délibérément une tonalité élégiaque renforcée par la dimension autobiographique du récit. Rien ne peut désormais ramener la belle parmi les vivants : l’ex top-modèle reste prisonnière du miroir qu’elle s’est elle-même construit et le film de Jerry Schatzberg mène à une impasse narrative et psychologique. Si l’objectif de la caméra ne révèle plus rien, reste une fascination sans borne pour une héroïne qui se dérobe à toute catégorisation définitive, une manière pour Schatzberg de célébrer la force du rêve, de l’imagination et du mystère et de rendre un ultime hommage à Anne Saint Marie.
Date de reprise : 28 septembre 2011
Date de sortie : 30 janvier 1972 (1h44min)
Réalisé par Jerry Schatzberg
Avec Faye Dunaway, Viveca Lindfors, Barry Primus…
Genre : Drame
Nationalité : Américain
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