Beijing Stories, Pengfei, 6 janvier 2016
Pékin, aujourd’hui. Trois destins, trois histoires. Le jeune réalisateur Pengfei nous entraîne derrière les palissades des chantiers immobiliers et dans les sous-sols de la mégalopole chinoise à la rencontre des victimes de la croissance économique. Beijing Stories a remporté le prix Fedeora du meilleur film à la dernière Mostra de Venise.
Comme pour mieux saisir l’envers du décor, les personnages sont régulièrement filmés en plongée ou contre-plongée. Réduits à la taille de fourmis au milieu d’immenses gratte-ciels, ou figés, dans une foule d’anonymes pressés, leurs silhouettes se détachent telles des ombres. Face au rouleau-compresseur du libéralisme économique, Yong Le, Xiao Yun et Yin surnagent. Les modestes chambres occupées par la danseuse Xiao Yun et le brocanteur Yong Le, sont régulièrement inondées lorsqu’il pleut. Normal, ils habitent des cellules de moins de 9m2, aux murs sans fenêtres, en sous-sol et l’eau des rues s’évacue directement dans leurs couloirs. Quant à Yin, ce n’est guère mieux. Propriétaire du terrain où s’élève sa maison cossue, son quartier a été entièrement démoli par les promoteurs et il doit vivre dans un terrain vague encombré de gravas, de meubles abîmés, de détritus et de pelleteuses.
Beijing Stories est un film de contrastes. Le vieux Yin, ancien révolutionnaire, refuse de vendre sa terre à bas prix et tient tête aux nouveaux cadres du parti. Le jeune couple formé par Yong et Xiao, lui, encaisse les coups sans broncher. Leurs droits les plus élémentaires sont bafoués mais ils continuent de croire aux miracles promis par le capitalisme à la chinoise. Pengfei ne se contente pas de signer une love-story douce amère : sa signature visuelle -des décors aux couleurs froides, des ambiances de travail presque cliniques – témoigne d’une déshumanisation progressive des habitants de Pékin. Même les clients du bar où danse Xiao sont immobilisés par le poids écrasant d’une lassitude générale. Et les mouvements de hanche de la belle, exécutés sans aucun plaisir, ne sont pas près de les réveiller.
Cette entreprise de destruction psychologique, miroir des chantiers de démolition qui éliminent toute trace du passé et de la culture traditionnelle, s’accompagne d’une anonymisation des habitants de la ville. En quelques plans (dans le bus payé par la compagnie immobilière, le long des marches d’escaliers de l’entreprise), Pengfei montre habilement qu’aux yeux des cadres et dirigeants du pays, les millions de jeunes femmes et jeunes hommes sont interchangeables : ce sont des travailleurs sous-payés à exploiter. La tenue du candidat à l’embauche, notamment celle des jeunes femmes, reflète une dépersonnalisation inquiétante. Moraliste, Pengfei, se moque gentiment d’une société où priment les apparences et l’obéissance aux codes sociaux les plus mercatiques. Il suffit de porter une jupe, des chaussures à la mode et de s’asperger de déodorant pour être confondue avec une riche – même s’il l’on vit comme un rat, sous terre…
En dépit d’une réalisation un peu trop démonstrative, Beijing Stories, premier film pessimiste, recèle plusieurs beaux moments de cinéma, notamment entre les personnages joués par Ying Ze et Luo Wenjie…
Ce n’est que rendu aveugle par un accident de chantier que Yong Le peut apprécier Xiao Yun : libérés du poids des apparences, ils s’aiment profondément pour ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes. Mais, dans leurs vêtements de travail et rôles respectifs, leur amour est impossible. La scène du bar, triste, marque aussi une libération pour Xiao, la danseuse. Méprisée par l’homme qu’elle a aidé et soigné, elle décide de revêtir un autre costume, une nouvelle identité et peu importe si, plus tard, il la cherche désespéramment dans les transports…
Date de sortie : 18 novembre 2015
Réalisé par : Pengfei
Durée : 1h15min
Avec : Ying Ze, Luo Wenjie, Zhao Fuyu…
Pays de production : Chine, France
Distributeur : Urban Distribution
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