Kill your friends, Owen Harris, 2 décembre 2015
La fin justifie-t-elle les moyens ? La force peut-elle l’emporter sur le droit ? Des questions qui ont fait le bonheur des dramaturges et des écrivains, que ce soit Shakespeare (Macbeth, Richard III) ou Schiller (Mary Stuart)… Plus proche de nous, Bret Easton Ellis s’est emparé de la figure du yuppie golden boy pour la transformer en incarnation du mal absolu à travers le personnage de Patrick Bateman dans American Psycho, interprété par l’excellent Christian Bale dans l’adaptation cinématographique du roman. Dans Kill your Friends, l’industrie musicale sert de décor aux manigances de Steven Stelfox, jeune loup au physique de top model, prêt à tâcher de sang ses belles chemises pour obtenir une promotion.
La comparaison entre Bateman et Stelfox s’arrête là… Stelfox appartient à la race des sociopathes : lorsqu’il humilie, évince ou tue un adversaire, ce n’est jamais dans un état second. Certes, il carbure à la cocaïne mais même au plus bas, il parvient à garder le contrôle sur lui-même, les événements et ses ennemis. Dans American Psycho, Ellis laissait planer le doute quant à la santé mentale de Bateman. Avait-il commis ou halluciné les meurtres dont il se vantait ? Steven Stelfox, lui, ne consulte pas de psy, il assume ses pires instincts et ne cherche pas à comprendre pourquoi il agit de la sorte. Du coup, le premier long-métrage d’Owen Harris, adapté d’un roman de John Niven, ex-cadre dans l’industrie musicale, évacue une bonne partie de l’enjeu cinématographique à mettre en scène de pareils criminels. Nicholas Hoult, l’acteur qui joue Stelfox, ne possède pas le charme effrayant de Christian Bale ou le charisme démoniaque de Kevin Spacey dans Swimming with Sharks. Par contre, il est parfait en « little prick »; il est foncièrement un petit con arrogant. On aurait tort de lui jeter la pierre, il n’a pas été casté pour faire peur, juste pour personnifier un type vil et superficiel qu’on déteste automatiquement.
Filmé comme un immense vidéo clip, Kill Your Friends est porté par une indéniable énergie : la bande-son brasse un nombre incroyable de classiques, citons pour exemple le Beetlebum de Blur ou Smack my Bitch Up de The Prodigy et même, côté rap, Return of the Mack de Mark Morrison (numéro 1 en Grande-Bretagne et n°2 aux USA entre 1996 et 1997). Dans les scènes de raves ou de concerts, la caméra, alerte et maline, capte ce qui se passe backstage ou se trame en hors-champs. La reconstitution des 90’s avec l’explosion de la Brit-pop et du Girl Power est plutôt réussie mais l’arrière plan musical ne se limite qu’à ça, un arrière-plan, un pur décor où évoluent des personnages trop unidimensionnels pour convaincre tout à fait.
Kill Your Friends pâtit surtout d’un mélange des genres et de changements de tons pas toujours heureux. Au départ, le réalisateur lorgne vers la comédie avec des personnages caricaturaux mais drôles : l’assistant timide et craintif, le producteur allemand -incroyable Moritz Bleibtreu– qui collectionne les daubes et les prostituées, et aussi l’ersatz des Spice Girls, plus vulgaire et populo que l’original… Puis, alors qu’une sorte d’étau -policier, professionnel et existentiel- se resserre autour de Steven Stelfox, le spectateur est plongé en plein drame, ce qui nous vaut l’une des plus belles séquences où musique et action s’entremêlent habilement. Le visage de Nicholas Hoult, déformé par la douleur, rejoint celui, tout aussi troublé de Thom Yorke, leader de Radiohead, qui apparaît sur un écran de TV dans le clip réalisé pour le titre Karma Police. Mais, presque aussitôt, nouveau virage à 180° avec l’amorce d’un véritable jeu de massacre qui repose hélas sur de grosses ficelles scénaristiques et des coups de théâtre peu crédibles. Les apartés caméras du personnage principal n’arrangent pas forcément les choses. A vouloir nous faire pénétrer dans la tête du pervers narcissique, le réalisateur grille ses fusibles : du coup, les scènes finales gores ne surprennent personne et ne parviennent plus à faire sourire. La satire et l’intelligence de la réalisation (comme la publicité avec Tony Blair et le slogan Britain desserves better) ont fait place à la vulgarité et à la violence gratuite : eh mais, à défaut de chef-d’œuvre, c’est peut-être la recette d’un hit !
Date de sortie : 2 décembre 2015 (1h43min)
Réalisé par Owen Harris
Avec Nicholas Hoult, Craig Roberts, James Corden…
Genre : Thriller, Comédie
1 réponse
[…] angélique à celui d’un meurtrier ultra-violent. On l’avait déjà constaté dans Kill your friends, film resté plutôt inaperçu à sa sortie en 2015. Ici, la dimension fantastique justifie ce […]