Joe Dante, l’art du je(u), Frank Lafond, éditions Rouge Profond

Frank Lafond, auteur d’un Dictionnaire du Fantastique aux éditions Vendémiaire, signe avec son précédent ouvrage Joe Dante, l’art du je(u), une analyse érudite, fluide et rondement menée des multiples références et influences cinématographiques jalonnant les films et la carrière du réalisateur. L’auteur a pu s’entretenir avec le cinéaste dans les bureaux de Reinfield Productions à Hollywood et nourrir une correspondance suivie : les réflexions, précisions et aveux de Dante font d’emblée entrer le lecteur dans un univers intime dominé par le plaisir du jeu.

Dante le reconnaît lui-même : ses films, il les a d’abord réalisés et produits pour lui. Il a mis en scène ce qu’il aimait voir à l’écran. Avant de se retrouver sur un plateau, Dante exerce son regard dans les salles obscures. Il signe plusieurs critiques au début des années 1960 dans les fanzines fantastiques Famous Monsters of Filmland et Castle of Frankenstein. Il officie ensuite pour le Film Bulletin, destiné aux professionnels de l’industrie, une publication dans laquelle il étend son activité de recensement et d’analyse filmique à d’autres genres.

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Pour Lafond, pas de doute possible, la filmographie de Joe Dante constitue une prolongation du travail entrepris par le critique. Le réalisateur est fasciné par le pouvoir d’illusion du cinéma et il en exploite tous les trucs et astuces avec une délectation amusée. Pour les amateurs de série B ou d’horreur, Joe Dante a acquis un statut de maître, de gourou même, à en croire le site Trailers from Hell auquel il collabore régulièrement pour proposer une réflexion sur les bandes annonces de films peuplés de créatures étranges : momies (The Mummy, 1932), savants fous (Captive Wild Woman, 1943), femme insecte (The Wasp woman, 1957), enfants transformés en tueurs après irradiation (The Gamma People, 1956)…

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Les réalisations de Joe Dante -que ce soit pour le cinéma ou la télévision (La Quatrième Dimension, Runaway Daughters…)- témoignent d’un amour de la transmission : clins d’œil nostalgiques (apparition de Robby le Robot du film Planète interdite (1957) dans Gremlins et Les Looney Tunes passent à l’action), stock-shots et inserts se succèdent, parfois de manière vertigineuse comme dans Les Looney Tunes passent à l’action.

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Hommage aux films d’époques révolues, la passion référentielle affichée par Dante est une manière d’attirer l’attention du spectateur sur d’autres œuvres mais surtout de l’instruire en lui révélant des clefs de décryptage de l’action en cours. Le danger est souvent suggéré par des mises en abimes ironiques lorsque les personnages regardent un film d’horreur à la télévision, The Monster that challenged the World (sorte de mollusque mutant géant) est à l’honneur dans Piranha et la jeune possédée de LExorciste apparaît sur un écran dans Les Banlieusards.

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Frank Lafond ne se contente pas d’énumérer les nombreuses allusions que l’on trouve dans les réalisations de Joe Dante. Il théorise cette intertextualité filmique en s’appuyant sur les travaux de Julia Kristeva et puise dans l’univers SF tant prisé par Dante pour baptiser du nom de l’extraterrestre d’Explorers, Wak, la manie du réalisateur de parsemer ses films de références, de collages, de rappels à une culture cinématographique passée. Pour un non spécialiste des films de série B, la plupart de ces renvois comme les noms des personnages d’Hurlements (calqués sur ceux de réalisateurs de films de loup-garous des 40’s aux 70’s) passeront inaperçues. Mais, Dante ne souhaite pas uniquement tester l’étendue des connaissances des spectateurs. Via le regard caméra ou le générique, il s’ingénie à les solliciter et à les dérouter du début à la fin.

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Dante, l’art du je(u) n’occulte pas la dimension sociale et militante de l’œuvre du réalisateur – la nostalgie et le conte (Panic sur Florida Beach) fonctionnant souvent comme vecteurs d’une forme de pessimisme réaliste. L’analyse fouillée et pertinente de Frank Lafond aborde l’antimilitarisme de Dante (Small Soldiers), sa vision de la famille… L’auteur insiste donc sur la charge subversive des images de Dante qui se démarque ainsi totalement des Spielberg et Zemeckis auxquels on l’associe généralement. Un livre qui invite à (re)voir les films de Dante.

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Broché : 222 pages

Editeur : Rouge profond (4 novembre 2011)

Collection : Raccords

Prix : 22 euros

 

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