Esto es lo que hay, chronique d’une poésie urbaine, le 2 septembre
Le documentaire musical de la rentrée est certainement Esto es lo que hay : chronique d’une poésie urbaine, réalisé par Léa Rinaldi qui a suivi pendant 6 ans le groupe de rap cubain contestataire Los Aldeanos.
Aldea, en espagnol, signifie village. Le patchwork de sons et de paysages urbains tissé par la réalisatrice au fil de son immersion montre l’influence du village planétaire, qui s’exprime via Internet, sur la reconnaissance du groupe, bien au-delà des frontières naturelles du « village » natal. « Nul n’est jamais prophète en son pays » selon un vieil adage : à Cuba, los Aldeanos sont victimes de la censure et mettent en place un marché clandestin pour faire connaître leurs titres. Et malgré les menaces et les arrestations policières, le public est au rendez-vous, prêt à embarquer dans un bus de fortune pour se rendre à un lieu tenu secret pour un concert quasi improvisé. Si Al2 el Aldeano et El B, têtes pensantes du duo, ne peuvent pas jouer sur la place de la révolution ou près du Malecón (promenade balnéaire historique de La Havane), ils bénéficient néanmoins du soutien du Peuple. Et paradoxalement, ces proscrits qui ne s’attirent pas les grâces du régime, réalisent une véritable révolution, remettant au goût du jour les idéaux de certains pères fondateurs comme José Marti.
Le film de Léa Rinaldi donne à entendre à travers les extraits de chansons ou de concerts des Aldeanos une réalité cubaine à mille lieue des cartes postales destinées aux touristes. Le cri de ras-le-bol exprimé par les compadres cubanos nous invite à une prise de conscience : si 90% d’une tranche d’âge se prostitue pour s’offrir à manger ou porter des vêtements, le rêve promis au voyageur occidental ne se nourrit-il pas du cauchemar du villageois local ? Les textes des Aldeanos s’inspirent de tranches de vie dans lesquelles pourront se reconnaître un vieux vendeur de cacahuète, un chauffeur de bus, une jeune fille de 15 ans, ou un couple séparé depuis des années par le golfe du Mexique.
L’expérience nord-américaine des Aldeanos est finalement emblématique de la schizophrénie affective de jeunes cubains. D’un côté, Miami apparaît comme un appel irrésistible (le père d’Aldo vit là-bas depuis de nombreuses années), de l’autre comme un autre enfer de la pensée unique matérialisé par les nombreuses coupures de pubs télé. Très subtilement, la réalisatrice capte et retranscrit en images l’absurde d’une violence larvée : aux tatouages des rappeurs s’opposent des ongles à la manucure impeccable. Après la joie spontanée et sans arrière-pensée des concerts de Madrid ou de Bogota en Colombie, le groupe se retrouve prisonnier d’une tourmente politico-médiatique portée par les opposants à Castro en Floride. La valeur du documentaire de Léa Rinaldi, qui établit la juste distance entre ses Aldeanos et son statut de réalisatrice « dans » le film, est de réussir à faire dialoguer l’intime et l’Histoire… et de ménager un certain suspense : et si les Aldeanos étaient, comme on les accuse, téléguidés par la CIA pour saper le régime castriste de l’intérieur ?
Le montage éclaire l’évolution du groupe qui parvint à rester soudé tout en réaffirmant son anticonformisme et sa liberté de penser. Sous leurs allures de gangsters machos, les Aldeanos se font les apôtres de l’amour fraternel. Ils ne chantent pas spécialement contre Castro, ils chantent avant tout pour le Peuple, de Cuba et d’ailleurs. Pas étonnant alors que leurs revendications, légitimes car finalement très terre-à-terre, trouvent écho chez les citoyens du monde entier, victimes de la corruption ou du népotisme.
Date de sortie : 2 septembre 2015 (1h40min)
Réalisé par Léa Rinaldi
Avec Aldo Baquero Rodriguez ‘El Aldeano’, Bian Oscar Rodriguez Gala ‘El B.’, Silvio Liam Rodriguez ‘Silvito el Libre’
Genre : Documentaire, Musical
Nationalité : Français
Article initialement publié le 30 juin 2015.
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