Vers l’autre rive, Kiyoshi Kurosawa, 30 septembre 2015

Kiyoshi Kurosawa est un cinéaste dont la filmographie éclectique possède un motif récurrent : la contamination. Le réalisateur est le chantre d’ambiances ultra-mélancoliques qui, en dépit des failles scénaristiques de certains de ses films, exercent une étrange fascination sur le spectateur. Les personnages de Kurosawa sont souvent des solitaires, des hommes et femmes mutiques, qui semblent rencontrer des difficultés de communication.

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La mort rôde autour des personnages de Kaïro (2001)

Évoluant dans un monde professionnel et familial plutôt hostile (Jellyfish, Tokyo Sonata), ils ne peuvent ressentir des émotions qu’en passant dans un autre monde, après avoir été victimes de contamination.  Avec Kaïro (2001), film d’horreur glaçant, la contamination était de nature informatique et les fantômes traversaient les écrans d’ordinateur. Dans Jellyfish (2002), la fascination exercée par les étranges reflets iridescents d’une méduse sur les personnages semblait provoquer des réactions en chaîne. Avec Vers l’autre rive (2015), le monde des vivants et celui des morts s’interpénètrent tellement que les trépassés n’ont pas conscience d’être décédés. Et, sans l’intervention des fantômes, ceux qui restent seraient condamnés à de mornes existences.

La trace des disparus dans Kairo

La trace des disparus dans Kaïro ou celle du futur mort ?

Vers l’autre rive, mélodrame qui touche souvent juste, raconte justement l’histoire d’une renaissance. Mizuki (Eri Fukatsu), une jeune veuve qui enseigne le piano aux enfants, retrouve goût à la vie en acceptant de suivre le fantôme de son époux en voyage. Elle refait, en sens inverse, le périple de son mari depuis sa réapparition dans le monde des vivants jusqu’à sa noyade. Chez Kurosawa, on se fout de la logique. Yusuke (Tadanobu Asano), le mari décédé, a été mangé par les crabes mais il réapparaît, un beau jour, dans le salon de son appartement, avec un costume jaune à peine froissé et des chaussures en cuir. Pourtant, rien n’est laissé au hasard; la réalisation et le scenario agissent de concert pour que le spectateur soit à son tour captif de signes qui témoignent de l’action de forces surnaturelles. C’est dans ces instants, fugaces mais chargés d’émotions, que la maestria visuelle et la puissance d’évocation de Kurosawa se révèlent : la main d’un petit garçon sur le genou du fantôme-voyageur dans les transports, un visage dans l’encadrement d’une fenêtre, sur le point de découvrir une cuisine dévastée par les éléments et le temps qui passe…

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Kurosawa use et abuse des jeux de lumière pour signifier le passage d’un monde à l’autre… Et lorsque le réel refait brutalement irruption comme dans la première étape du voyage, chez le vieil homme livreur de journaux, la mort -finalement si douce et belle- a laissé quelques traces de la féerie fantomatique : des fleurs en papier…

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Dans Vers l’autre rive, les morts ne hantent pas les vivants dans le mauvais sens du terme, ils les consolent et leur redonnent la joie de vivre. L’extrême pudeur avec laquelle les sentiments du couple sont filmés fait lentement muer cette lune de miel fantasmagorique en un conte moral poignant et profond… on est heureusement bien loin du mélo sirupeux type Ghost.

Avec Kurosawa, la mort ne déchire pas l’espace et le temps, elle ne sépare pas les amants et les familles mais au contraire unifie tout sur son passage. Les trois étapes du voyage font endosser à Yusuke, dentiste de son vivant, trois métiers bien dissemblables (livreur, cuisinier, professeur) qui sont autant d’opportunité de réconciliation, de redécouverte de soi et des autres. Le réalisateur oppose la liberté offerte par le don et la transmission à la puissance aliénante conférée par le statut social (avant son suicide, Yusuke était un éminent praticien dans un hôpital universitaire).

Si les choix esthétiques du réalisateur reflètent assurément une réflexion philosophique sur notre société de consommation, jamais le réalisateur ne porte un jugement catégorique. La scène de la rencontre entre Mizuki et la jeune maitresse de son défunt époux est magistrale d’ambiguïté morale. Dans le cinéma de Kiyoshi Kurosawa, comme dans la vie de tous les jours, les gens se font du mal, bêtement et facilement, sans forcément en retirer un avantage matériel, immédiat ou identifiable. Le voyage du couple intimement réuni dans cet espace-temps imaginaire et le dialogue morts-vivants apparaissent alors comme aussi plausibles, réels et légitimes que la suite de mauvais choix ayant entraîné la disparition de Yusuke.

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Date de sortie : 30 septembre 2015 (2h7min)
Réalisé par Kiyoshi Kurosawa
Avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano, Yû Aoi…
Genre : Romance, Drame
Nationalité : Français, japonais

 

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