Interview chorale de l’équipe de Ceci est mon corps
Ceci est mon corps (Prix du Public du festival de Toulouse, Prix du public du festival Henri Langlois à Vincennes) est une comédie dramatique sortie en décembre 2014. Toujours à l’affiche dans plusieurs salles, elle est portée par un formidable bouche à oreille. Pourquoi aller voir ou programmer ce film qui traite de la foi et de la chair ? La réponse dans cette interview qui tombe à point en ce jour du Seigneur..
Les secrets de famille, des plus triviaux -une infidélité- aux plus sordides -l’inceste et le viol- se transmettent généralement de générations en générations lorsque la chaîne du silence n’est pas brisée. Dans Ceci est mon corps de Jérôme Soubeyrand, il y a une scène à la fois triste et exutoire, c’est celle où l’on voit le réalisateur danser sur la tombe de son ancêtre.
Si le monde occidental paie peut-être un tribut moins lourd aux vénérables et honorables aïeuls que certaines sociétés asiatiques, le christianisme a contribué à sanctifier la famille, souvent terreau des pires névroses, mensonges et non-dits.
Le film de Jérôme, drôle et original dans sa forme, parle en plus un langage universel, qu’on pourrait paradoxalement et ironiquement rapprocher du message évangélique des Béatitudes. Oui, Ceci est mon corps est marqué par une ambiance libertaire post 68arde (qui plaira ou non au spectateur) Mais, l’entreprise autobiographique de Jérôme est aussi un cri énorme qui déchire le silence du temps passé pour exprimer un désir de vérité.
« Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés » aurait prononcé un type barbu du haut d’une montagne il y a quelques siècles… sans se douter qu’en son nom, des hommes de Dieu feraient des enfants en douce à des jeunes croyantes qui devraient vivre cachées. Ceci est mon corps traite d’un thème toujours d’actualité -le célibat et la sexualité des prêtres- avec les armes du désespoir : auto-dérision, outrance, provocation.
A la recherche de réponses à sa quête existentielle, Jérôme Soubeyrand fait dialoguer la psychothérapie transgénérationnelle avec Michel Onfray et Michel Serres… C’est lourd à porter un secret de famille : la grand-mère de Jérôme est la fille d’un curé de Valence; tous deux ont été bannis des mémoires familiales pour préserver l’honneur. En réalisant ce film, Soubeyrand se débarrasse de ce poids et répare le mal engendré par le silence. A le voir plein d’énergie et de joie de vivre, danser dans le film et organiser plein de projections en France, on se dit qu’il a bien fait. Le secret de famille honteux et douloureux est devenu une œuvre colorée qui donne la pêche. On écoute le joyeux trublion et sa bande d’acolytes qui se sont livrés, corps et âmes, dans une interview chorale :
- Pierre-Loup Rajot a une carrière éclectique. Il a été acteur chez Pialat, César du meilleur espoir masculin en 1985 pour Souvenirs Souvenirs, et plus récemment, les fans de la série TV R.I.S. Police Scientifique ont pu l’apprécier dans le rôle d’Hugo Challonges. Pour Ceci est mon corps, il est à la fois acteur et surtout producteur avec CALM (Comme à la maison productions)
Cinescribe : Qu’est-ce que vous répondez aux critiques qui écrivent que le film se fait l’étendard d’un combat d’arrière-garde, rappelant mai 1968 ?
Pierre-Loup Rajot : Qu’il est passéiste, pourrait-on dire ?… Pour moi, ce n’est pas un défaut du moment que quelque chose passe à travers. C’est du racisme, le racisme d’une époque qui a existé avec ces représentants. Moi, je suis le fruit de cette génération, je garde quelques attaches. Mais, le film est encore plus libre, on parle de sexualité plus finement, avec des problématiques contemporaines… Après, si cela choque: ou bien les gens sont aveugles, ou bien cela les gêne et ce serait l’expression -je vais être méchant- d’une forme de frustration…
Cinescribe : Pourquoi jouer le rôle de ce curé qui est certainement le personnage le moins sympathique du film ?
Pierre-Loup Rajot : Cela faisait plaisir à Jérôme que j’interprète le méchant, et c’est vrai que le producteur représente toujours l’argent, l’autorité. Il a utilisé ce schéma un peu stéréotypé pour exprimer des choses qu’il avait envie de dire. Il crache le plus son venin dans les scènes où je suis présent, j’ai eu du mal à lui dire oui, mais il y avait cet esprit de famille. Ma société de production s’appelle Comme à la maison (CALM), on a tourné en grande partie chez moi, j’ai accepté d’endosser ce rôle même si parfois au montage, il m’est arrivé de lui demander ‘Tu veux pas qu’on les coupe ces scènes?’ Mais, en même temps, je ne connais pas le sujet aussi bien que lui et à travers son film, j’ai appris des choses, j’ai grandi d’une certaine manière… Cette dynamique là m’a beaucoup plu : intervenir artistiquement comme producteur et distributeur, c’est très lourd, je ne me sens pas l’âme d’un vendeur. Mais accompagner le film dès le début, comme je l’ai fait avec Jérôme, alors que c’était complètement anecdotique au départ, ça oui…
Cinescribe : Vous semblez tous être une bande de copains, en tout cas des personnes assez proches dans la vie. Vous ne vous êtes pas dit ‘Qu’est ce qu’on va faire de ce matériel biographique qui est lourd, douloureux’ ? Comment le traiter de manière artistique ?
Pierre-Loup Rajot : J’ai poussé Jérôme à être le plus sincère possible, à faire cette enquête sur son passé, à trouver une façon de rendre son film plus universel avec l’intervention de philosophes. Systématiquement, dans le cinéma français aujourd’hui, quand on aborde de grands sujets comme ça, ils sont survolés et jamais vraiment approfondis et je voulais un film qui soit différent sur ce plan là (…) Je lui ai dit ‘Si on fait un film sur la foi et la chair, il faut que ce soit le film sur la foi et la chair‘, pas un film de plus. Quand on veut faire un film, il faut laisser la trace de ce que l’on raconte et la trace pour moi c’est quelque chose de très important. Je ne voulais pas que Jérôme sorte indemne de ce film (…) et pour nous aussi, en partie, c’est un film thérapeutique. Moi par exemple, ça m’a aidé à affronter le CNC…
Cinescribe : Comment on présente et « vend » un film comme celui-ci, riche par le sujet et la forme ?
Pierre-Loup Rajot : C’est un film avec trois niveaux de narration, aboutis ou non au niveau de la narration. C’est le cinéma de demain, j’en suis persuadé. On n’utilise pas toutes les formes artistiques et techniques pas très chères dont on dispose actuellement… Elles nous permettent beaucoup plus qu’avant de faire des brouillons de film, de s’essayer à des façons de raconter différentes. Le cinéma français, de fiction, de la comédie, se meurt… En plus, j’ai une fascination pour la comédie italienne qui était une comédie sociale où l’on riait beaucoup, où l’on traitait de vrais problèmes avec humour (…) Faire des films comme ça, c’est un peu mon cheval de bataille.
2. Marina Tomé incarne Marlène, la « tentatrice » qui fait succomber Gabin, le curé. Rencontre avec une actrice à l’énergie communicative.
Cinescribe : Est-ce que vous pouvez nous parler de cette formidable rencontre entre Gabin, le naïf, et Marlène ?
Marina Tomé : Pour raconter la trajectoire de cet homme qui est curé et puceau, il faut forcément lui faire rencontrer quelqu’un de totalement libéré à l’autre bout. Pour que la tension entre les deux soit forte, on a donc eu l’idée de cette actrice fantasque. Même si je ne vis pas comme Marlène, dans l’humeur et l’énergie, elle me correspond vraiment…
Cinescribe : A propos de la dimension film dans le film, avec notamment les cours de théâtre chez Marlène, comment avez-vous abordé ces scènes ?
Marina Tomé : On a utilisé toutes les situations qui correspondaient au personnage. Une actrice qui donne des cours de théâtre, cela veut dire qu’elle n’est pas star. Elle le dit d’ailleurs dans une scène : « Je suis pas star mais je tourne » Et très souvent, pour les actrices à partir d’un certain âge, mais parfois aussi plus tôt dans la carrière, avoir un laboratoire fait partie de la diversité de notre métier. Donner des cours, je l’ai fait et dans le film, c’est le lieu où de nombreuses choses peuvent se dire sur le désir.
Cinescribe : Pour la scène du restaurant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Quand Harry Rencontre Sally, même si la comédie américaine est assez éloignée de l’univers de Ceci est mon corps…
Marina Tomé : Oui, ça rappelle cette scène mythique et il y a d’ailleurs eu un débat entre nous, certains ne voulaient pas qu’on intègre cette scène. Moi, j’y tenais vraiment, j’étais sûre que cette scène était très importante pour Marlène, Gabin et le film. Et aujourd’hui, c’est une scène que tout le monde réclame, qui circule sur les réseaux sociaux (…) Elle a été difficile à tourner, on aurait voulu un plan séquence mais il y avait un chantier à côté du restaurant, j’ai joué entre les boums-boums et il fallait du souffle… Je suis vraiment très heureuse du résultat. C’est une régalade de jouer cette scène.
3. Jérôme Soubeyrand : à l’origine du projet, Jérôme Soubeyrand, scénariste et acteur. Pour son premier film, en partie autobiographique, il frappe très fort. Rencontre avec un optimiste qui traite avec humour de sujets graves.
Cinescribe : Pourquoi cette fin ?
Jérôme Soubeyrand : Si je raconte l’histoire d’un prêtre, il m’est apparu normal de montrer sa paternité. L’enjeu, aujourd’hui, c’est encore ces femmes qui sont mises enceintes et la manière dont la hiérarchie intervient. Des évêques continuent de demander aux prêtres de dire à leurs compagnes d’avorter. C’est le contraire de tout ce qu’ils prônent. Selon les témoignages que j’ai recueillis et le travail mené par une association [NDLR : Plein Jour], il y aurait actuellement un prêtre sur trois qui vit maritalement dans la clandestinité, avec la femme dans la ville d’à côté, ce sont des souffrances incroyables.
Cinescribe : Et vous n’avez pas eu peur des réactions dans les milieux catholiques ?
Jérôme Soubeyrand : Non, et j’ai eu plein de réactions positives dans les milieux chrétiens. On a eu un très bel article dans Témoignage Chrétien et partout, je rencontre des catholiques pratiquants, très croyants, qui adorent le film. Je ne critique pas la foi ou la religion mais une chose très précise : cette hypocrisie autour du mariage des prêtres et de la sexualité.
Cinescribe : Parlez-nous des différentes phases du projet…
Jérôme Soubeyrand : Il y a eu plusieurs stades d’écriture et juste avant de tourner, j’ai intégré tout ce qui relevait du transgénérationnel, j’ai aussi un peu réécrit pour les acteurs et surtout, je me suis acheté une quinzaine de bouquins sur la sexualité féminine, parmi les derniers publiés pour les lire attentivement et me mettre au diapason des dernières recherches…
Cinescribe : Et il y aura un autre film sur ce sujet ?
Jérôme Soubeyrand : Peut-être bien mais si cela ne reflète pas ce que je suis en train d’écrire actuellement. En tout cas, cela prendrait la forme d’un dialogue comme avec Ceci est mon corps. L’objectif n’est pas de monter les hommes contre les femmes mais de voir comment on peut s’aimer. C’est déjà suffisamment compliqué comme ça…
4. Manuel Pinto, monteur sur un film monté en deux temps. Les dessous d’une construction réussie !
Manuel Pinto : Ce qui était particulier dans ce film, c’est son articulation autour de trois axes : la comédie, les séances de psy transgénérationnelle, et les interventions des philosophes. A partir de là, cela donne une complexité à la structure. On s’est d’abord concentrés sur la comédie, le jeu, les personnages et la fiction. Et puis, on a fait résonner le tout avec ces interventions philosophiques et psychologiques, en sachant, pour rajouter un petit degré de complexité, que ces interventions avaient été filmées avant la partie fiction (…) On dit souvent que le montage est la dernière étape de l’écriture et pour moi, cela fut un super plaisir de participer à ce travail avec Jérôme qui est à la fois le scénariste et l’acteur.
Cinescribe : Est-ce que vous n’avez jamais craint des coupures de rythme ?
Manuel Pinto : Au fond, au montage, c’est presque toujours l’inverse qui se produit. On créé, on redéfinit ou on les aplanit les coupures. Sur les changements d’ambiances et d’atmosphères, cela serait plutôt Jérôme Peyrebrune, le chef opérateur qui pourrait mieux répondre à cette question (…) Pour moi, c’est une première collaboration avec Jérôme Soubeyrand, il se trouve que je travaille depuis une douzaine d’années avec Pierre Loup Rajot et j’ai découvert ainsi le projet de film… Tous ces mélanges et interactions m’intéressent beaucoup personnellement dans la mesure où le personnage de Gabin devait être aidé physiquement par le personnage ou non-personnage de Jérôme Soubeyrand qui était censé le prendre par la main et lui dire ‘Tu dois faire ci et ça… » Il y avait des plans truqués, des scènes doublées, très drôles…
Cinescribe : Elles vont être gardées, pour une version DVD du film ?
Manuel Pinto : [Rires] Peut-être, je me souviens d’une scène en particulier qui a été gardée. Mais, ce qui est important, c’est qu’au montage, dans ce cas précis, on s’est aperçus que la fiction était la réalité, ces scènes n’étaient absolument pas nécessaires… Le film finit par avoir sa propre vérité. On ne la connaît qu’à la fin dans certains cas, ce qui peut être dramatique car on réalise, trop tard, ce que film aurait dû être. Mais avec Ceci est mon corps, nous avons eu la chance de travailler dans la durée et de présenter quelque chose auquel on croit.
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