Le Challat de Tunis, de Kaouther Ben Hania, 1ier avril
Projeté dans le cadre du festival Panorama des Cinéma du Maghreb et du Moyen-Orient et sorti en salles le 1ier avril, Le challat de Tunis est un documoqueur qu’on pourrait également qualifier de documenteur. La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania part sur les traces du mystérieux Challat qui fit régner la terreur près des plages de Tunis en balafrant les fesses des filles dénudées ou moulées dans des vêtements provocants. Moins enquête policière qu’expérimentation ethnologique sur terrain miné, le deuxième long-métrage de la réalisatrice met en scène une tribu de mâles dominants qui considèrent tous -du religieux au gamer en passant par l’aspirant acteur et le petit délinquant- le Challat comme un héros.
Étrange objet cinématographique, Le Challat de Tunis brouille les frontières entre fiction et réel, s’interroge sur les relations hommes-femmes en Tunisie et renvoie le spectateur, décontenancé par une réalisation apparemment foutraque mais en réalité parfaitement maîtrisée, à ses idées reçues sur le Maghreb. Les femmes du film se divisent en deux catégories. Passionaria qui luttent pour leurs droits, elles sont bafouées, méprisées et insultées. Voilées mais maquillées et sanglées dans des vêtements ultra moulants, elles jouent les séductrices mielleuses pour se faire épouser rapidement. Aucune relation amoureuse ne semble pouvoir exister en dehors de rapports de domination et d’humiliation.
Dérangeant, le film dépeint une société tunisienne schizophrène, il faut cacher le corps féminin pour des raisons religieuses et morales mais on attend aussi de la future épouse qu’elle réponde à des canons de beauté et de féminité qui la réduisent purement à un simple objet sexuel. Pour parler de ses questions délicates -véritables bombes à retardement-, Kaouther Ben Hania parsème son récit de trouvailles scénaristiques satiriques. Ainsi, cette scène avec la créatrice du virginomètre, un appareil capable d’évaluer la pureté d’une fille et d’indiquer au mari potentiel si sa promise est « recousue », « de première main » ou « d’
Ou ce jeu vidéo où le but est de balafrer le maximum de femmes en mini-jupes. Inacceptable ? sûrement mais il n’existe que dans l’imagination de la réalisatrice et l’espace narratif du film. En multipliant ces fausses pistes, en créant des mises en abimes vertigineuses, Kaouther Ben Hania permet au spectateur de se distancier du meurtrier sensationnel de Tunis pour revenir au cœur du sujet : la capacité des images, commentées par la rumeur, à créer du mensonge, de la fiction. Et, en caricaturant, de manière, peut-être un peu outrancière, le sexisme des hommes de Tunis, elle renvoie le spectateur à ses propres préjugés sur le Maghreb.
Pourtant, les victimes du Challat ont bel et bien existé. La réalisatrice en a retrouvé deux qui ont accepté de témoigner pour ce docufiction. Leurs paroles, forcément émouvantes, viennent aussi renforcer la rumeur selon laquelle le Challat ne serait pas un mais plusieurs hommes et que l’on aurait arrêté Jalel Dridi, un petit délinquant paumé pour étouffer l’affaire.
Comment exploiter un matériel judiciaire et archivistique mouvant, peu accessible avant la révolution, et constamment travaillé par l’imaginaire collectif ? Kaouther Ben Hania relève le défi en donnant la parole aux différentes versions du Challat, incarné à l’écran par des hommes avant tout avides de reconnaissance. Et, en montrant les tentatives de séduction infructueuses de Jalel (le vrai-faux Challat qui joue son propre rôle de bouc-émissaire), elle signe une œuvre finalement moins politique qu’empathique. Sans jamais poser de jugement péremptoire sur ces hommes déboussolés, elle donne à voir les failles d’un petit garçon incapable d’aimer une autre femme que sa mère.
Date de sortie : 1 avril 2015 (1h30min)
Réalisé par Kaouther Ben Hania
Avec Kaouther Ben Hania, Jallel Dridi, Moufida Dridi
Genre : Policier / Documoqueur
Distributeur: Jour2fête
Sélection Acid Cannes 2014
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