Spartacus et Cassandra, Ioanis Nuguet, 11 février
Présenté à Cannes, dans la sélection de l’ACID, Spartacus et Cassandra est un film déconcertant qui laisse K.O. Ioanis Nuguet a filmé la rencontre improbable entre une jeune passionnée de cirque, Camille Brisson, et deux enfants roms qu’elle a pris sous son aile, en les accueillant au chapiteau éphémère Raj’ Ganawac, installé dans une petite allée de Saint-Denis.
L’expérience de la fraternité avec les trapézistes du cirque, les chanteurs berbères et tous les artistes qui ont posé un jour leurs valises à coté du campement rom représente vite un rempart contre l’alcoolisme du père, la folie de la mère et la pauvreté. Mais, la tranquillité, « le paradis », comme l’appelle Spartacus a un prix : une séparation familiale déchirante.
C’est quoi être un jeune Rom aujourd’hui lorsque l’on vit en banlieue parisienne ? On devine qu’il y a autant de destins que de familles roms. Avec une infinie poésie, Ionis Noguet montre le quotidien singulier de deux gamins confronté à la violence et au sordide. Sans jamais être démonstratif ou prétendre avancer une explicitation sociologique, la caméra révèle l’importance de la mendicité, du nomadisme, de l’autorité paternelle abusive… Aux yeux de la justice française, les parents de Spartacus et Cassandra ne sont pas en mesure d’assurer leur protection. La rencontre avec Camille, source de joie et ouverture sur le monde -avant tout notre monde- va entraîner une remise en question du mode de vie ancestral, et d’une certaine manière, précipiter la chute des parents en favorisant l’intégration sociale des enfants.
Spartacus et Cassandra, récit d’un amour fraternel, est aussi celui d’une déchirure. A l’image du funambule de cirque, on sent les deux enfants à chaque instant au bord de la chute. Leur joie de vivre et leur curiosité naturelles les poussent dans les bras de Camille, marraine magique qui parle français et roumain, leur offrant ainsi un pont entre les deux cultures. Mais, face aux pleurs de la mère, qui craint qu’avec la séparation, elle ne devienne l’unique victime des coups du père, la culpabilité et le doute surgissent. Spartacus et Cassandra veulent avoir une vraie maison à eux, ils en ont assez de la roulotte, d’avoir à se cacher à la moindre descente de policiers. Ils le disent dans leurs chansons : l’arme de Spartac, c’est le rap qui sied bien à son caractère frondeur, impulsif mais aussi lucide; pour Cassandra, une mélodie mélancolique qui met en valeur son amour de la langue française et ses rêves de princesse…
« A 4 ans, je fais la manche. A 6 ans je saute une classe. A 7 ans je viens en France, A 8 ans je volais des autoradios, à 9 ans j’ai rencontré Camille….A 13 ans on m’a fait quitter mes parents » Voilà comment Spartacus, en voix off, revient sur son parcours. La seule gêne qui transparaît chez le garçon est lorsqu’il est invité à jouer chez un ami de l’école, un autre rom, un peu mieux loti que lui… puisqu’il habite une maison équipée d’une salle de bain et d’une télévision. Face au juge pour enfants, les opinions du frère et de la sœur vacillent : oui, ils aimeraient continuer à voir leurs amis de l’école et vivre dans une maison plus confortable mais ils n’en demeurent pas moins très attachés à leur père et à leur maman.
A aucun moment la caméra ne juge. Le père de Spartac gratifie même le spectateur de l’une des plus belles paroles du film : « les mots doux engendrent la douceur. » A mi chemin entre le cinéma du réel et le journal intime fictionnel, Spartacus et Cassandra vibre au rythme des disputes, des cris, des moments heureux dans la cour de récré ou en colo, des pleurs, des séparations et retrouvailles… Et au milieu de cette vie en apparence chaotique mais au fond régie par des règles ethniques et claniques, il y a ce personnage de fée : Camille, la Fata Morgana, qui fait apparaître un chapiteau au milieu d’une banlieue grisâtre, qui convoque les esprits du Maghreb et ceux de Roumanie, qui change de vêtements pour endosser plusieurs identités : tour à tour Monsieur Loyal, Grande Sœur, Professeure et Maman sans papa… Elle réconforte, encourage mais parfois aussi, elle tonne, gronde et hurle pour imposer son opinion : « On n’invite pas d’adultes à une fête d’anniversaire d’enfants. On ne boit pas pour les anniversaires. » Formule lapidaire, presque intransigeante, face à des parents pour qui l’anniversaire est aussi l’occasion d’asseoir leur image sociale, de ne pas perdre la face, en invitant toute la communauté.
A la manière du funambule, le film oscille : d’un côté le conte moderne avec la promesse d’un futur rose bonbon pour les deux enfants, de l’autre, un sentiment d’inquiétude diffus face à tout ce que la caméra ne montre pas… On comprend qu’au départ, les parents vivaient aussi sous le chapiteau, on se demande si Camille n’aurait pas aussi fait les frais de la violence du père de Spartac. On s’inquiète aussi de voir les parents survivre à la sortie d’une bouche de métro, avec toutes leurs affaires empaquetées dans des sacs poubelles. Et Camille, pourquoi cherche-t-elle tend à réparer ce qui semble irréparable ? Est-elle en mesure de les sauver, et de quoi au fond ? et cette camera qui s’attarde sur les nombreux tatouages de la jeune femme un peu marginale, nerveuse…
La fin du film, emportée, sur un son rap, dément la candeur du propos. Spartacus et Cassandra n’est pas un conte de fée moderne… de ceux qui se terminent bien, sans aucune ambiguïté morale. La culpabilité, la colère, le renoncement amer sont là… sur fond de forêt mystérieuse et d’ombres dans le noir. Un récit initiatique au fond, à la manière des contes d’autrefois.
Date de sortie : 11 février 2015 (1h20min)
Réalisé par Ioanis Nuguet
Avec Cassandra Dumitru, Spartacus Ursu, Camille Brisson…
Genre : Documentaire
Nationalité : Français
Louve d’Or – FNC Montréal 2014
Prix du Jury FIPRESCI – DOK Leipzig 2014
Sélection ACid 2014
Commentaires récents