Born to be Wild, la bio de Dennis Hopper par Tom Folsom…
On enfourche sa Harley, direction Taos, Nouveau-Mexique, Los Angeles, et le Pérou sur les traces de Dennis Hopper…
Born To Be Wild est une biographie parue après son décès. Normal, Dennis s’était toujours opposé à une quelconque publication de son vivant. Il s’y était lui-même attelé, sans succès. Derrière ses cabotinages face caméra, ses excès en tout genre, Mister Hopper veillait farouchement à protéger sa vie privée et à entretenir le mystère autour de sa sulfureuse personne. Tom Folsom s’est donc entretenu avec ceux qui l’ont connu de près, les « véritables » amis de Dennis, qui lui sont restés fidèles en pensée et en cœur, jusqu’au bout, quitte à faire eux aussi les frais de la machine à broyer hollywoodienne.
Born To Be Wild donne donc la parole à Dean Stockwell, acteur principalement connu par le public français pour son rôle du hologramme Al Calavicci dans la série Code Quamtum. Stockwell, enfant et adolescent star des productions hollywoodiennes des années 1940 à 1960, deux prix d’interprétation masculine à Cannes en 1959 et 1962, connaît un passage à vide dans les 70’s, avant de revenir à l’écran grâce à Wim Wenders (Paris Texas) ou David Lynch (Dune, Blue Velvet).
Quasiment le même parcours que Dennis Hopper. Les deux hommes sont inséparables, partagent beuveries, femmes et séjours en hôpital psychiatrique. De manière assez troublante, Folsom met en lumière le rôle de mauvais génie joué par Stockwell, tant à l’écran, dans Blue Velvet que dans l’existence personnelle de Hopper.
Mais Stockwell n’est pas uniquement un mauvais conseiller pour Hopper. Intime de Wallace Berman, l’un des derniers représentants de la Beat Generation, Dean est un artiste maudit qui s’adonne au mail-art, aux collages et rejoint le ranch de Dennis, à Taos, où vivait autrefois l’auteur DH Lawrence, victime de la censure et considéré par ses contemporains britanniques comme un pornographe. Au Nouveau-Mexique, en plein 70’s, une petite communauté utopique se met en place autour de Dennis Hopper, rendu riche par le succès inespéré d’Easy Rider, devenu film-étendard pour toute une génération de hippies.
Mais, Folsom dont le style gonzo-journalisme, imprime un rythme effréné à sa cavale biographique, décrit avec subtilité la face sombre des seventies… ou plutôt le moment où le cynisme parvient à l’emporter sur l’innocence. Folsom cite même Hopper, lucide, quelques années après la plongée dans la folie : « On allait se tenir les mains, prendre du LSD, trouver Dieu -et qu’est ce qui s’est passé ? On s’est retrouvés devant la porte du dealer, trimballant un flingue, dans une folie totale… » (page 202)
Les communautés indigènes du Nouveau-Mexique trouvent la pilule amère, non seulement Hopper mène grand train sur leurs terres, provoquant rixes et violences, mais l’acteur n’a pas honoré sa promesse d’ouvrir une clinique dans la région. Conséquence de la drogue, d’une enfance plombée par les secrets familiaux ? Le Hopper de Folsom est un paranoïaque qui vit la plupart du temps cloîtré, que ce soit au Mud Palace, le ranch artistique de Taos ou les bunkers de l’architecte Frank Gehry à Los Angeles, pour la dernière part de son existence.
Mais, si Hopper aime s’isoler, il n’est jamais seul. Entouré d’une foule d’admirateurs -et surtout d’admiratrices, ses différentes habitations hébergent de bien drôles familles. Malgré ses excès, les femmes ne résistent pas à son charme fou et son imagination débordante. Il attire, épouse, bat et trompe régulièrement des artistes reconnues comme Brooke Hayward, qui lui met le pied à l’étrier via son père Leland, producteur de La Mélodie du Bonheur, Daria Halprin, danseuse et art-thérapeute ou Michelle Phillips, chanteuse des Mamas & Papas (leur mariage ne durera qu’une semaine à cause de l’appétit sexuel insatiable de Hopper)…
Sur le tournage d’Apocalypse Now, il séduit la jeune photographe personnelle de Marlon Brando qui avait pourtant mis en garde sa protégée… Il héberge Desiree, une jeune femme hispanique qu’il élève comme sa fille, avant d’en faire son amante. Bref, Dennis Hopper n’a rien du type recommandable… Et David Lynch d’enfoncer le clou, Frank Booth, le sadique de Blue Velvet n’est pas un rôle de composition, c’est simplement Hopper face aux femmes.
Forcément, à la lecture de cette bio, l’image de Dennis Hopper est écornée, pas sa réputation d’acteur indomptable et de hippie sauvage… Folsom n’omet pas d’évoquer les démêlés judiciaires avec l’écrivain et scénariste Terry Southern, co-auteur du script d’Easy Rider, lâchement abandonné par Hopper alors qu’il l’implorait, au nom de leur ancienne amitié, de lui verser ses droits pour éviter de mourir dans le dénuement…
Dennis apparaît bien souvent comme un cinglé avide d’argent et de notoriété, prêt à détruire quiconque se dresserait sur son passage. Bien sûr, Folsom avance quelques idées pour expliquer le comportement anti-social et misogyne du principal créateur d’Easy Rider. Mais aucune ne convainc vraiment. Les chapitres sur l’enfance de Hopper au Kansas sonnent complètement faux et ne font qu’enraciner Hopper dans une série de représentations mythiques nord-américaines, du Magicien d’Oz (avec la mère de Dennis en méchante sorcière séductrice) aux beatniks en passant par la route 66 et l’appel du grand ouest… Et Folsom a peut-être aussi volontairement accentué le côté rebelle autodestructeur de l’acteur : un Dennis Hopper plus calme aurait-il fait vendre autant ? La construction même de l’ouvrage, avec des bonds et retours en arrière dans le temps, insiste -parfois lourdement- sur les échecs -et beaucoup moins sur les succès- de Hopper.
Ce qui est certain, c’est l’envie constante de frôler la mort, Dennis Hopper aime se faire peur et repousser ses limites. Sur le tournage de Mad Dog Morgan, tourné en 1976 en Australie, un juge le considère à deux doigt de la mort clinique… Mais, Hopper se rêve aussi en survivant. Les premiers chapitres de la biographie sont hantés par le fantôme de James Dean, première influence majeure de l’artiste qui ne se remettra jamais vraiment de sa disparition tragique. En parvenant à échapper aux méfaits de la drogue et à traverser sans trop d’encombres les années 1980 pour redevenir un grand du cinéma mondial, Dennis Hopper a prouvé qu’il était aussi diablement intelligent… ou chanceux, à vous de choisir.
Mais, heureusement, l’ouvrage souligne aussi le côté visionnaire du monstre médiatique. Dennis Hopper, renifleur de tendances, est resté à l’abri du besoin grâce à sa formidable collection d’œuvres d’art. Il est le premier à acheter des toiles d’Andy Warhol, fréquente plusieurs membres de la factory… Il semble finalement être venu au cinéma, un peu par hasard, pour son aspect visuel, car son grand amour est l’art figuratif, sous toutes ces formes : sculpture, peinture, photographie… Photographe engagé, il participe aux marches pour les droits civiques des Noirs dans le Sud, il documente l’Amérique des années 1950 à 1970, léguant aux jeunes générations certains des plus beaux clichés de l’époque. Et en 1988, il renouvelle l’intuition d’Easy Rider en sentant que le vent a tourné. Il réalise Colors, avec Sean Penn et Robert Duvall, deux autres grands acteurs, un brin réacs comme Hopper. L’Amérique de la fin des années 1980 est celle du rap, des ghettos noirs et donne à voir, pour la première fois, un quotidien proche de la réalité des gangs urbains.
Les différentes rétrospectives qui lui ont été consacrées ces 8 dernières années rendent hommage à Dennis Hopper mais trahissent aussi une récupération médiatique, identique à celle qui a plus ou moins brouillé la dimension politique et biographique de l’œuvre de Robert Mapplethorpe. Hopper fait vendre… pas étonnant donc que certains de ses clichés, comme le portrait de Paul Newman sous un grillage ne fassent partie d’un prétendu album perdu (The Lost Album) présenté en avant-première en 2014 à la Royal Academy of Arts de Londres… alors que cette photographie circulait déjà lors de l’exposition consacrée par la Cinémathèque Française en 2008-2009 à Dennis et le Nouvel Hollywood (plusieurs reproductions étaient en vente à la librairie!)…
Born to be wild, une biographie au style coup de poing, passionnante, qui se présente aussi comme un recueil de témoignages perdus… mais qui -heureusement- ne fait pas toute la vérité sur Dennis Hopper.
Born to be wild, Dennis Hopper. Un voyage dans le rêve américain de Tom FOLSOM / Traduit de l’anglais par Stan CUESTA / Editions Payot et Rivages. Collection : Rivages Rouge. Grand format | 304 pages. | Paru en : Septembre 2014 | Prix : 22.00 €
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