Charlie’s country, Rolf De Heer, le 17 décembre

Auréolé d’un prix d’interprétation masculine à Cannes pour son acteur principal, David Gulpilil, acteur aborigène, Charlie’s country apporte un peu de chaleur australe à nos écrans hivernaux. Récit d’une descente aux enfers, qui fut celle de l’acteur principal, le dernier long-métrage du réalisateur australien Rolf De Heer donne à voir un immense gâchis : comment des décennies de politiques d’assimilation ont conduit le peuple aborigène à la lisière des villes et du bush, coincé dans un entre-deux existentiel dont ils essaient désespéramment de s’échapper via l’alcool et la drogue.

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Charlie devrait s’estimer heureux : il habite parmi les siens, non loin des terres de ses ancêtres, dans une communauté rurale, à des centaines de kilomètres des mirages dangereux de la ville. Mais, l’intérêt du film de Rolf De Heer est de montrer, non sans humour, la situation intenable des anciens chasseurs, constamment infantilisés par les forces de police locales. Confrontés aux méfaits de l’acculturation et de l’adoption du régime alimentaire occidental, Charlie et ses amis sont encouragés à vivre à l’ancienne… Mais, lorsqu’il revient, victorieux, d’une chasse au buffle, il se fait confisquer son fusil. Qu’à cela ne tienne, il se fabrique une lance… mais son « ami » protecteur, le prototype du jeune flic naïf et bienveillant, la lui retire des mains illico presto. A le voir parader ainsi dans les rues du village, certains esprits du voisinage pourraient s’échauffer. Pour les représentants du gouvernement (que ce soit les forces de police locales ou les médecins), les Aborigènes sont au pire des délinquants en puissance, au mieux des adultes retardés qu’il faut éduquer… Les mythes du bon et du mauvais sauvage ont décidément la vie dure au pays des kangourous.

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Le quotidien de Charlie est donc une suite d’humiliations et de rendez-vous ratés. Entre deux cultures, Charlie profite de la naïveté des descendants des colons européens. Sans emploi, il s’adonne à de petits trafics. Aux bad boys, en échange d’un peu d’herbe ou de cigarettes, il indique un endroit  parfait pour camper et fumer de la ganja. Mais, il rencarde aussi les flics sur les allées et venues des dealers et petits trafiquants qui s’invitent dans la réserve… Bon gré, mal gré, Charlie parvient à survivre… mais bientôt, tiraillé par la faim et surtout une irrépressible envie de liberté, il prend le large, direction le bush, la terre des rêves.

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Le film est bâtit comme un triptyque qui illustre l’itinéraire qu’a réellement emprunté l’acteur incarnant Charlie. De sa communauté d’origine à la grande ville, en passant par le bush -ne serait-ce qu’à travers les films tournés- et la prison, avant de retourner voir les siens qui regrettaient de le voir abandonner les traditions et surtout de succomber aux poisons légués par les blancs : l’alcool, la drogue et la violence.

Révélé au grand écran dans un premier film de 1971, The WalkaboutDavid Gulpilil est devenu l’acteur aborigène le plus célèbre du monde entier, tournant avec Dennis Hopper (Mad Dog Morgan) ou dans des blockbusters comme Crocodile Dundee. Parallèlement à sa carrière cinématographique, il a connu des déboires personnels et professionnels à cause de son alcoolisme. Le réalisateur, Rolf De Heer, a plusieurs fois exprimé son sentiment de responsabilité envers Gulpilil (et au-delà, envers la communauté indigène tout entière). Il avait fait tourner l’acteur dans The Tracker (2002) et 10 canoés, 150 lances et 3 épouses (2006). Depuis plusieurs années déjà, De Heer mène un travail de mémoire pour redonner la parole aux aborigènes, peuple opprimé par ses propres ancêtres. Entreprise louable mais qui instaure une forme de distance entre le spectateur et l’expérience de Charlie-Gulpilil représentée à l’écran.

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L’acteur a contribué aux dialogues, improvisé, puisé dans ses souvenirs et sa souffrance personnelle. Mais, si la caméra de Rolf De Heer, sait trouver des angles intéressants pour transmettre certains sentiments (l’ennui de la prison rendue par la plongée sur les assiettes remplies à la cantine, le travelling le long des machines à laver), elle s’attarde parfois de manière inutilement longue sur les côtes saillantes de Charlie… certainement pour montrer l’étendue de la casse. Mais, au lieu de susciter l’empathie, ces gros plans créent un sentiment de malaise face à l’esthétique glacée du corps abîmé filmé. Et l’on regrette aussi la petite musique larmoyante nunuche qui accompagne notre héros lorsqu’il se retrouve au coin du feu.

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Finalement, on est davantage touché par la subtile forme d’humour ironique pratiquée par Charlie lorsqu’il commente son triste sort. Qui sait ce qu’il pense réellement de la fin de son propre film ? Retour au bercail, avec de la nourriture « de merde » dixit himself, avec pour seul horizon l’enseignement de danses traditionnelles, qui espérons-le, ne sont pas uniquement réduites à un simple folklore qu’on brandit à l’occasion des inaugurations d’opéras présidés par la reine Elizabeth 2. Si le film de Rolf De Heer sonne juste très souvent et parvient à transmettre un maximum d’informations sur la situation contemporaine des Aborigènes, vivement un film réalisé uniquement du point de vue aborigène, par des équipes d’aborigènes.

Date de sortie : 17 décembre 2014 (1h48min)
Réalisé par Rolf De Heer
Avec David Gulpilil, Peter Djigirr, Luke Ford…
Genre : Drame
Nationalité : Australien

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