Rock Bottom, María Trénor, 9 juillet, Annecy Film Festival 2024
Very bad trip. La réalisatrice María Trénor s’inspire de Rock Bottom, l’album culte de Robert Wyatt sorti en 1974, pour filmer l’agonie d’un couple entre New York et Majorque. Dans ce premier long-métrage d’animation, la réalisatrice espagnole a choisi de faire s’entrechoquer époques et lieux. Elle capture à merveille l’ambiance hippie et décadente de la Grande Pomme du milieu des années 1970. Le film s’ouvre ainsi sur un long travelling le long de rues où alternent magasins de disques, sex-shops, portes cochères délabrées et lieux de défonce… Au milieu de la faune bigarrée new yorkaise, un jeune homme blond aux cheveux longs avance, impassible, malgré les filles aguicheuses. Il s’agit de Robert Wyatt, de retour des Baléares, et récemment séparé de sa petite amie, auteure de films expérimentaux. Invité à une fête, il est célébré comme un fils prodigue, après une longue absence. La joie des retrouvailles fait bientôt place au drame.
Psychédélique à souhait, le film de María Trénor est plein de volutes, d’arabesques embrumées par l’alcool et les drogues. Le récit prend aussi la tangente, mêlant rêves, souvenirs et réalité, offrant à voir à la fois le processus créatif du chanteur et sa mémoire abîmée. Si Wyatt vécut des moments paradisiaques à Majorque avant de sombrer définitivement dans les affres de la dépendance – affective et psychotrope – son esprit était déjà tourmenté avant de rencontrer Alfreda Benge, muse, co-addict, puis épouse et sauveuse. Wyatt ne s’envole pas pour Majorque car l’île est un paradis hippie. Non, c’est sa mère qui l’y envoie, afin qu’il se refasse une santé, après une tentative de suicide ratée, auprès d’un autre poète, Robert Graves, proche de la famille. L’influence que put avoir cet auteur immensément célébré à l’époque sur la production artistique de Wyatt n’est pas abordée, la réalisatrice préférant montrer les conséquences de la drogue sur le couple formé par Alfreda Benge et Robert Wyatt.
Posant un regard contemporain sur la « romance » entre les deux artistes, la réalisatrice n’hésite pas à démonter certaines idées reçues sur la libération sexuelle des femmes de cette époque. Certes, Alfreda pratique le naturisme et vit sans aucun tabou son histoire avec Bob, mais de retour à la maison, son partenaire s’attend à la voir trimer en cuisine au détriment de ses aspirations artistiques, à elle. Si manifestement Alfreda et Bob ont réussi à surmonter la phase autodestructrice qui caractérisait leur union dans les années 1970 (ils sont toujours ensemble actuellement !), il eut été intéressant d’explorer davantage leur collaboration artistique : c’est ainsi Alfie qui réalisa la pochette du disque Rock Bottom, ode à l’univers marin méditerrannéen.
Si la réalisatrice prend quelques libertés avec les faits historiques – c’est à Londres que Robert Wyatt fit la terrible chute qui le rendit paraplégique – elle développe des trésors d’inventivité pour rendre compte de l’imagination des deux artistes. Le recours à la rotoscopie offre fluidité et réalisme. Les séquences surréalistes en noir et blanc (réalisées par Alfie) complètent les nombreuses envolées oniriques qui font de ce film un objet cinématographique singulier. On retiendra notamment la mise en images complètement hallucinée des paroles du titre Little Red Riding Hood Hit the Road, entre cérémonie SM sous acides et numéro de cirque avec un couple d’ours dansant !
9 juillet 2025 en salle | 1h26min | Animation, Musical
De María Trénor
|Par María Trénor
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