« Aubusson tisse Tolkien », dernier week-end, Collège des Bernardins, Paris
Dernier weekend pour découvrir la sublime exposition « Aubusson tisse Tolkien » au Collège des Bernardins à Paris.
On y retrouve quinze tapis et tapisseries inspirés des ouvrages suivants : Les lettres du Père Noël, Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux et Le Silmarillion.

Glórund sets forth to seek Túrin, d’après l’œuvre originale de J.R.R. Tolkien, © The Tolkien Trust 1977 Tapisserie, tissage Atelier Guillot, Aubusson, 2018 Collection Cité internationale de la tapisserie
C’est en 2013 que le projet débute après une rencontre entre Christopher Tolkien, le fils cadet de J.R.R. Tolkien, et les responsables de la Cité internationale de la tapisserie.
De 2014 à 2024 (les dernières tapisseries sont achevées en juin 2024), sept ateliers et manufactures de la région d’Aubusson et plus de quarante professionnels réalisent les 160m2 de tissage qui composent la tenture.
Un homme comme Tolkien a été récupéré par tout le monde. D’abord les hippies dans les années 1960, suivis d’écologistes, on l’a même suspecté d’accointances avec les antisémites, alors qu’en 1938, en pleine ascension nazie, il s’était fendu de cette réponse lapidaire à un potentiel éditeur allemand, Rütten & Loening : “Je regrette de ne pas comprendre ce que vous entendez par ‘arisch’. Je ne suis pas d’origine aryenne, c’est-à-dire indo-iranienne ; à ma connaissance, aucun de mes ancêtres ne parlait flindustani, persan, gypsy, ou autre dialecte apparenté. Mais si je dois comprendre que vous cherchez à savoir si je suis d’origine juive, je puis seulement répondre que je déplore de ne pouvoir apparemment compter parmi mes ancêtres personne de ce peuple si doué”.
Cette mise au point résume bien qui était Tolkien : c’était avant tout un linguiste.
Et comme tout bon linguiste qui se respecte, il ne maîtrisait pas une seule langue mais plusieurs.
Amoureux des mots et persuadé que les mots, syntagmes, expressions ne servent pas qu’à communiquer mais portent en eux des histoires multiples, reflets des cultures et métissages, Tolkien n’a cessé de puiser dans les textes en vieil anglais mais aussi en gallois, finnois et norrois (d’où dérivent les langues scandinaves actuelles) pour bâtir son monde mythique.

Moria gate, d’après l’œuvre originale de J.R.R. Tolkien © The Tolkien Trust 1995 Tapisserie, Atelier Françoise Vernaudon, 2021 Collection Cité internationale de la tapisserie
Sa passion pour les langues le pousse à créer lui-même de nouvelles langues qu’il associe aux différents peuples et habitants de la Terre du Milieu. Aujourd’hui, des fans de Tolkien s’amusent à traduire dans leurs propres langues les poèmes et chansons écrits par J.R.R. Tolkien en Quenya et Sindarin – langues elfiques – ou en Khuzdul pour les nains.
L’oeuvre de Tolkien est si grande, si riche, si complexe, si artistique – il peignait également de magnifiques aquarelles – qu’elle donne le tournis.

Christmas 1928, d’après l’œuvre originale de J.R.R. Tolkien © The Tolkien Estate Limited 1976.
Tapisserie, tissage Atelier Tapisserie Guillot, Aubusson, 2019.
Collection Cité internationale de la tapisserie
Et pourtant, les multiples biographies de ce paisible professeur d’université montrent une constance dans la vie de Tolkien qui se comparait volontiers à un hobbit : l’amour de la nature et de sa femme Edith qui donnera naissance au personnage de l’elfe Lúthien.
Si un colloque international sur l’influence du catholicisme dans l’oeuvre de Tolkien (sa mère s’était convertie au catholicisme à la mort de son époux) se tient ce week-end en parallèle aux derniers jours de l’exposition Aubusson tisse Tolkien, les tapisseries créées d’après les illustrations que fit Tolkien lors de l’écriture de ses ouvrages montre une seule et même chose : l’amour de Tolkien pour les créatures fabuleuses et magiques censées peupler l’Angleterre, la Germanie ou la Scandinavie avant l’évangélisation de ces terres.

The Trolls, d’après l’œuvre originale de J.R.R. Tolkien, © The Tolkien Estate Limited 1937 Tapisserie, tissage Atelier Tapisserie Guillot Aubusson, 2019 Collection Cité internationale de la tapisserie
Loin du dogmatisme catholique, l’oeuvre littéraire de Tolkien – où s’affronte certes le mal et le bien – est un monde où les humains communiquent avec les animaux, où les arbres sont considérés comme un peuple à part entière, où la communion ne s’effectue pas en mémoire du sacrifice d’un fils (et pour racheter des fautes) mais pour célébrer le vivant sous toutes ses formes.

Bilbo woke up with the Early Sun in his Eyes, d’après l’œuvre originale de J.R.R. Tolkien, © The Tolkien Estate Limited 1937
Tapisserie, tissage Atelier Françoise Vernaudon, Aubusson, 2020
Collection Cité internationale de la tapisserie
Terriblement marqué par la Bataille de la Somme, Tolkien demeura toute sa vie un anti-militariste convaincu.
Que dirait-il de notre monde actuel, où de nombreux conflits armés font rage un peu partout sur la planète avec la complicité de gouvernements trop heureux de s’enrichir en vendant bombes, missiles et chars ?
Que penserait-il, lui qui n’a pas hésité à imaginer des femmes fortes, sages et guerrières – Galadriel, Éowyn pour ne citer qu’elles – de l’église catholique, dont le clergé et les plus hautes hierarchies ont tenté d’étouffer des abus sexuels sur mineurs mais aussi sur des soeurs (voir ainsi le documentaire sur le scandale des religieuses violées par des prêtres) ?

Conversation with Smaug d’après l’œuvre originale de J.R.R. Tolkien, © The Tolkien Estate Limited 1937
Tapisserie, tissage Atelier 2, Aubusson, 2022
Collection Cité internationale de la tapisserie
Notre monde n’est peut-être pas si loin des contrées désolées du Mordor et de l’Isengard, perverties puis détruites par Saroumane et Sauron.
Bibliographie indicative :
Carpenter, Humphrey, ed. (2023) [1981]. The Letters of J. R. R. Tolkien: Revised and Expanded Edition. New York: Harper Collins. ISBN 978-0-35-865298-4.
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