La Terre des vertus, Vincent Lapize, 4 juin en salle, avant-première le 3 mai aux 4e Assises de la Coalition des Jardins Populaires en Lutte
Dans son dernier documentaire, La Terre des Vertus, Vincent Lapize filme le combat des habitants d’Aubervilliers contre la destruction de leurs jardins ouvriers, dans le cadre des Jeux Olympiques et de l’aménagement du Grand Paris. Formé à l’anthropologie, le réalisateur diplômé de l’EHESS avait déjà accompagné un groupe de militants en plantant ses caméras au coeur de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pour son film Le Dernier Continent. Tout en finesse et discrétion, son regard capte de nouveau les différents moments d’une lutte collective.
Boutures, masques d’animaux et chants nahuatl contre tractopelles. La Terre des Vertus est le récit, comme l’affirme un vieux jardinier désabusé, d’une bataille entre David et Goliath. Sauf qu’ici, les géants du BTP disposent de pas mal d’alliés : la mairie, la région et le comité d’organisation des JO. Face à des voisins qui semblent finalement peu concernés, une poignée de jardiniers – toutes générations confondues – tentent d’alerter sur les vertus de ces parcelles de verdure au milieu d’un océan de tours bétonnées.
Il y a cette jeune maman qui raconte comment elle a fini aux urgences au mois de juin pour cause de déshydratation : penaude, elle explique qu’elle n’avait pas forcément pris soin de boire davantage car elle associait les fortes chaleurs au milieu de l’été. Un retraité montre, les larmes à l’oeil, le coin de jardin où le renard a établi sa tanière. Il évoque aussi ses abeilles. Tous les témoins ont à coeur de mettre en garde contre le réchauffement climatique mais aussi de célébrer la beauté d’une coexistence avec le sauvage : ces quelques espèces animales (hérissons, insectes, oiseaux, renards…) qui trouvent parfois refuge dans les parcs et jardins citadins. L’Organisation Mondiale de la Santé préconise 10 m² d’espaces verts par habitant, et Aubervilliers ne compte qu’1,42 m² par Albertivillarien. C’est dire l’enjeu de sauvegarder ce poumon vert au milieu des cités du fort d’Aubervilliers.
Très peu directif, en immersion totale, le réalisateur pose peu de questions mais accueille avec bienveillance la parole des témoins qui ont accepté sa présence. C’est la force et la limite de cet objet filmique : en pratiquant l’observation participative propre aux anthropologues, Vincent Lapize donne à voir une réalité : celle des personnes filmées. Mais, en restant aussi près de son objet d’étude, il élude certaines questions. « Ce que les hommes en blanc ne disaient pas, c’est qu’ils prévoyaient de gagner beaucoup d’argent. » Certes, mais les nouveaux équipements (sportifs et transports avec l’ouverture de la ligne de métro 15) ne contribueront-ils pas à désenclaver une population reléguée aux marges de Paris ? Si l’on est, comme moi, convaincue de la nécessité de préserver tout espace naturel en ville, on ne pourra que soutenir ce document engagé. Mais, la présence de chiffres, d’un éclairage historique ou architectural plus fouillé, aurait peut-être contribué à convaincre certains hésitants.
Les contes, chansons et happenings artistiques des militants confèrent une dimension onirique à La Terre des Vertus. A la débauche de force policière répond un incroyable élan créatif, qui reflète une palette d’émotions qui va de la colère, avec le slogan « Le solarium, sur la pelouse de l’Elysée », aux larmes, lors de la cérémonie des cendres aux portes de la mairie d’Aubervilliers. La musique composée par La Mana et les séquences de déambulations masquées font basculer le film dans un autre temps, plus cyclique, en phase avec l’immanence des religions panthéistes.
Les arbres ont été déracinés, la terre mise à nue, les militants arrêtés mais la Nature, si on lui en laisse l’occasion reprendra ses droits. 4 000 m² – sur environ 22 000 – dévolus à la culture vivrière ont été détruits mais la justice a donné raison au collectif : on est passé de 5400 m2 de jardins potentiellement détruits (2022) à 300 m2 (2023) – avec la destruction temporaire de 600 m2 pour une question d’accès chantier qui seront restitués ensuite pour être à nouveau cultivés. Malgré cette victoire, la lutte continue : de nouvelles parcelles sont menacées par des projets immobiliers écocides.
La destruction du vivant s’accompagne également d’une oblitération de la mémoire ouvrière, contrainte de disparaître face à la gentrification de ces quartiers. Une dimension peu abordée dans le film qui sera peut-être discutée lors de la projection en avant-première du film lors des Assises des Jardins Populaires en Lutte le week-end prochain à Besançon.
4 juin 2025 en salle | 1h32min | Documentaire
De Vincent Lapize
|Par Vincent Lapize
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