L’histoire du soldat, R. O. Blechman, 9 avril 2025

Malavida a eu l’excellente idée de ressortir L’histoire du soldat, conte faustien anticapitaliste et pacifiste. Projeté dans le cadre d’Annecy Classics 2023, ce moyen-métrage d’animation réalisé en 1984 a été doublé en France par Serge Gainsbourg, dans le rôle du diable tentateur et par Henry Salvador pour le soldat. C’est une énième variation autour de Faust avec un gentil soldat amoureux de la nature et des plaisirs simples qui finit par échanger son violon adoré contre un livre qui lui permet de connaître l’avenir et donc de s’enrichir.

© Malavida Films

Son réalisateur, R. O. Blechman, était un artiste aux multiples facettes : auteur de livres pour enfants, illustrateur pour le New Yorker ou  Harper’s Bazaar, il était aussi réalisateur de publicités et de films d’animation. Fasciné par les contes et légendes d’Europe, il s’était distingué, avant la sortie de L’Histoire du Soldat, avec The Juggler of Our Lady, court métrage d’animation, nommé aux BAFTA.

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A l’origine, L’histoire du soldat est une oeuvre d’Igor Stravinsky conçue en Suisse, pendant la première guerre mondiale. En raison du contexte politique et économique, Stravinsky qui s’est lié d’amitié avec le poète Charles Ferdinand Ramuz, imagine une pièce de théâtre de tréteaux qui, au départ, mêle un petit orchestre (sept instruments), des récitants (le Lecteur, le Soldat et le Diable) et un ou deux danseurs.

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A l’instar de Stravinsky qui s’était nourri de multiples sources, d’abord littéraires – Faust mais aussi La Belle au Bois Dormant et un conte recueilli par le folkloriste russe Alexandre Afanassiev– puis musicales – ragtime, paso doble, choral de Bach et mélodies klezmer – R.O. Blechman compose un film kaléidoscope, vertigineuse succession de références artistiques. Si L’histoire du soldat a vocation d’être intemporelle avec un pacte faustien qui pourrait remonter à la nuit du temps des mythes, les images d’archives qui ouvrent le film renvoient, elles, à la première guerre mondiale et à ses désastreuses conséquences. Mais Blechman n’a de cesse de rappeler que l’humain est animé d’un désir de vie, toujours plus fort que la mort et la destruction. L’esthétique propre aux années folles, et surtout aux avant-garde des mouvements dada et surréalistes se superpose au récit du soldat, avec l’insertion d’oeuvres de Francis Picabia ou Vassily Kandinsky pour ne citer qu’eux.

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Même si le soldat, berné par le Diable, a perdu son violon et sa bien-aimée, il essaie de se rebeller contre son malheureux Destin. Assez vite, la duplicité des promesses diaboliques devient manifeste : Vertov s’est peut-être enrichi mais l’empire capitaliste qu’il a construit l’empêche de profiter de la vie, n’ayant jamais un instant pour lui. Au charme bucolique et simple des premières séquences d’après-guerre, avant sa rencontre avec le Diable, succèdent des images d’intérieurs certes luxueux mais oppressants. L’ex soldat ne peut échapper à ses obligations comme lorsqu’une myriade de téléphones apportés par des domestiques insistants se mettent à sonner en même temps alors que le soldat devenu entrepreneur se baigne dans son lac.

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Au-delà de son message, L’Histoire du Soldat est un petit chef d’oeuvre esthétique : l’inventivité de Blechman est manifeste à chaque plan. Le réalisateur et son équipe d’animation manient aussi bien la technique du papier découpé que celle des aplats de couleur, ils réussissent même à moderniser le conte de la Belle au Bois Dormant en transformant l’héroïne en star du muet. Blechman a réussi à rendre intelligible à plusieurs générations de spectateurs, une oeuvre pourtant complexe. Pacifiste, écologique, L’Histoire du Soldat oppose deux modes de vie, deux époques, montrant les bienfaits du progrès matériel, la vitesse offerte par les voitures, les avions, mais mettant en garde contre la recherche effrénée de plaisirs via la surconsommation. Le violon, objet en bois plutôt simple (Gainsbourg susurre même « ce n’est pourtant pas un Stradivarius » devant les réticences du soldat), est le symbole de l’âme, de la liberté. telle une musique qui s’élève malgré les bruits de l’agitation vaine. Un conte toujours d’actualité.

9 avril 2025 en salle | 0h55min | Animation, Famille
De R.O. Blechman, Christian Blackwood
|Par R.O. Blechman
Avec Henri Salvador, Dušan Makavejev, Serge Gainsbourg
Titre original The Soldier’s Tale

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