Songe, de Rashid Masharawi, 2 avril 2025
Road trip à travers les territoires palestiniens et Israël, Songe de Rashid Masharawi est à la fois un film éloquent et poétique. Eloquent car, en quelques images et dialogues souvent symboliques, il résume à merveille l’impasse dans laquelle les Palestiniens se trouvent actuellement. Pas étonnant que le fil conducteur des pérégrinations de Sami, son oncle et sa cousine ne soit un pigeon voyageur qui ne cesse de se dérober au regard du spectateur.
Ivres de liberté, les Palestiniens mais aussi Arméniens ou Chrétiens d’Orient croisés lors de cette épopée filmée à hauteur d’enfant, aimeraient être ailleurs, à défaut de pouvoir être chez eux. Mais, les nombreux checkpoints, contrôles de sécurité, interdictions multiples, sans compter les expropriations illégales, les rendent étrangers dans leur propre pays.
Une véritable mélancolie traverse ce film dont les envolées lyriques offrent une respiration à chaque nouvelle rencontre. « Nous sommes les épices de Jérusalem » chante presque un vendeur musulman qui est chassé de son souk adoré après y avoir travaillé pendant des décennies. Au-delà de l’impérialisme exercé par le gouvernement israélien sur les populations palestiniennes, le film montre aussi que la société, ultra liberticide, sécuritaire et religieuse, qui se construit en Israël et dans les territoires conquis par les colons, est l’antithèse de la beauté sensuelle de l’Orient.
L’artisan arménien, philosophe, explique qu’à part boire du café et fumer, il ne reste plus rien à espérer. L’une des conséquences de la guerre est la dégringolade du nombre de touristes, notamment des pèlerins chrétiens. Or, c’est toute une industrie millénaire et un savoir-faire – le travail du bois, pratiqué par les Palestiniens habitant Jérusalem ou Bethléem – qui disparaissent.
Outre cet aspect quasi documentaire, habilement intégré à la trame plus romanesque, l’intérêt du film réside dans la présence à l’écran de plusieurs générations qui conversent toutes grâce à la médiatisation de ce pigeon fantôme. L’animal agit comme le révélateur des traumas (l’arrestation du père de Sami), de la culpabilité refoulée (de l’oncle qui n’est plus le combattant de jadis), ou des rêves (la cousine fera tout pour devenir journaliste). Ashraf Barhom (acteur arabe qui possède la nationalité israélienne) est magnifique et capte tous les regards.
Lorsqu’il loue la beauté d’Haïfa – la méditerranéenne – sur les toits d’un appartement appartenant jadis à une amie arabe, et aujourd’hui occupé par une jeune famille de russes juifs, il résume habilement l’entreprise de démolition de la mémoire d’un Peuple. Oui, les Arabes ont vécu à Haïfa (ils travaillaient dans le port), ils ont exploité des vignobles sur les versants du Mont Carmel, lieu saint pour les trois religions du livre… mais aussi pour les communautés druzes ou bahá’ís dont on voit le mausolée à l’écran.
Songe de Rashid Masharawi devrait être projeté partout : pour ses qualités cinématographiques mais aussi parce qu’il montre à merveille qu’avoir une image réductrice du conflit israélo-palestinien oblitère tout un pan de l’Histoire de la Terre Sainte.
2 avril 2025 en salle | 1h19min | Drame
De Rashid Masharawi
Avec Ashraf Barhom, Aseel Abu Ayyash, Emilia Al Massou…
Titre original : Passing Dreams
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