Retour sur un film : A complete unknown, James Mangold, 29 janvier 2025
On l’avait raté en janvier, et finalement, après visionnage, la sensation d’avoir face à soi un objet cinématographique hybride, qui déçoit autant qu’il suscite l’enthousiasme. A complete unknown, biopic musical long, ennuie de prime abord, puis surprend favorablement dans sa conclusion. Côté casting, Timothée Chalamet est bien trop lisse pour interpréter Bob Dylan, artiste et homme caméléon. Certes, il y a un petit air de ressemblance et il chante avec justesse les titres phares du Rimbaud du rock mais, la personnification s’arrête là. Dylan, petit juif maigrichon devenu folk puis rock star, dégageait dès ses débuts une sorte de bad boy aura, l’air de celui à qui, malgré la frêle apparence physique, il ne faut pas venir chercher des noises. Quand Chalamet se promène avec Elle Fanning (également sans aspérité) dans les rues du New York trash des années 1970, on a l’impression d’assister à un shooting mode contemporain. Et les diverses mines renfrognées que l’acteur prend les 45 premières minutes du film ne le rendent pas pour autant plus crédible en chantre de l’Amérique contestataire.
L’idée n’était pas mauvaise en soi : montrer l’éclosion d’un artiste incontournable, devenu un chanteur-compositeur reconnu, et surtout, bien plus tard dans sa carrière, consacré par un prix Nobel de littérature pour son songwriting de toute beauté. Du réalisateur James Mangold, on avait adoré Walk the line avec un Joaquim Phoenix inspiré et habité, dans la peau de Johnny Cash, mais ici, Chalamet n’a pas la même carrure d’acteur. Là où le jeune se démarque, c’est lorsque le réalisateur daigne aborder l’ambiguïté de Bob Dylan qui cache ses origines juives, et sort en même temps avec deux femmes, la déjà célèbre Joan Baez (Monica Barbaro) et Suze Rotolo (baptisée ici – on ne sait pourquoi – Sylvie Russo).
James Mangold sait à merveille mettre en scène la musique : les sessions d’enregistrement en studio ou les duos avec Monica Barbaro (dans le rôle de Joan Baez) lors des différents festivals sont magnifiquement interprétés. Tout n’est donc pas à jeter dans ce biopic qui, s’il pêche par manque d’originalité à cause d’une mise en scène trop consensuelle, réserve de beaux moments musicaux lors de la reconstitution de mythiques concerts comme ceux du festival de Newport. Le virage du folk vers le rock, et le quête de liberté artistique de Dylan, sont également bien rendus lors des sessions d’enregistrement, même si là encore, confier ce rôle à Chalamet, trop lisse, trop beau d’une certaine manière, ne rend pas crédible la rebelle attitude du chanteur.
C’est lorsque le biopic s’attarde sur les réactions que Dylan provoque – sur ce qui se joue en coulisses – qu’il résonne juste. Les gros plans sur le visage de madone botticellienne d’Elle Fanning servent d’implacable voix off sur la complicité, dévoilée sur scène, entre Baez et Dylan. Dans Walk the line, Mangold avait déjà montré qu’il était passé maître dans l’art de filmer les triangles amoureux. On pourrait regretter qu’ici, l’usage de la musique, ne sert que de commentaire redondant sur la situation politique et/ou les sentiments amoureux des personnages. Le song-writing, et celui de Dylan en particulier, se suffit à lui seul en termes de densité émotionnelle, de message et c’est avec Like a Rolling Stone, joué à la guerre électrique, devant un public médusé et furieux, sur la scène du Newport Folk Festival le 25 Juillet 1965 que Dylan – et le film – opèrent une révolution.
C’est un moment charnière de la carrière de Dylan, de sa transformation en star, que nous donne à voir le réalisateur. Cela correspond aussi à une trahison – événement ô combien dramatique et donc cinématographique. Dylan a pris un virage plus électrique, il en marre qu’on lui réclame Mr Tambourine Man et commet l’irréparable. Il envoie balader l’un de ses mentors, le chanteur folk et activiste communiste Pete Seeger et surtout, il continue à jouer Like a Rolling Stone, défiant ses ex-admirateurs qui se répandent en huées. Dans le film, Timothée Chalamet cesse de vouloir imiter Dylan et prend un malin plaisir – cela se lit sur son visage – à casser la barraque. Le film fait l’économie des micro-événements – tensions grandissantes entre le manager de Dylan, Albert Grossman (Dan Fogler, impeccable) et les organisateurs – pour se centrer sur Dylan : Chalamet retrouve alors le sourire méphistophélique qui le rendait convaincant en Willy Wonka.

Edward Norton interprète Pete Seeger qui aurait mérité un film à lui tout seul. Copyright 2024 Searchlight Pictures All Rights Reserved.
Dans I’m not there (2007), Todd Haynes choisissait de confier le rôle de Bob Dylan à plusieurs acteurs dont une femme (Cate Blanchett) afin de personnifier les métamorphoses et mensonges (sur sa supposée enfance de fugueur par exemple) qui avaient aidé Dylan à construire son propre mythe. Avec A complete unknown (le titre n’est pas choisi au hasard), James Mangold opte pour le procédé inverse : coller au plus près des archives visuelles, Chalamet porte ainsi la même chemise à pois que Dylan lors des répétitions, comme pour effacer l’homme derrière l’image. Le moment le plus poignant, le plus juste, ne peut donc qu’être en apparence anecdotique comme si Bob Dylan se dérobait sans cesse pour mieux renaître. C’est encore à la fin du film, lorsque le jeune musicien rend une dernière fois visite à Woody Guthrie, son seul vrai maître spirituel, après la débâcle du 25 Juillet 1965. Hospitalisé au Creedmoor Psychiatric Center dans le Queens, atteint de la maladie de Huntington, Woody a perdu l’usage de la parole. Mais Dylan chante pour lui, et après un ultime regard, il ferme la porte de l’hôpital, tournant ainsi le dos à sa jeunesse, à ses idéaux prolétaires, pressé d’aller vers autre chose…
29 janvier 2025 en salle | 2h 20min | Biopic, Drame, Musical
De James Mangold
|Par Jay Cocks, James Mangold
Avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Dan Fogler, Scoot McNairy…
Titre original : A Complete Unknown
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