Maria, de Pablo Larraín, 5 février

Avec Maria, le réalisateur chilien Pablo Larraín poursuit sa série de portraits de stars tourmentées, après Jackie Nathalie Portman incarnait la veuve de JFK. Il signe un film à la fois intime et halluciné qui réhabilite la figure controversée de Maria Callas, diva grecque autant adulée que détestée. Avec ce biopic aux cadrages et couleurs ultra-travaillés, il offre un magnifique écrin à Angelina Jolie, qui brille par ses nuances de jeu.

Oui, celle qu’on appelait La Callas, pouvait être odieuse et tyrannique. Le film la montre exiger de son fidèle et dévoué majordome, Ferruccio, déplacer chaque jour un piano à queue alors qu’il souffre du dos. Une autre scène la surprend en vociférations dépitées et hargneuses à l’encontre d’un fan qui lui avoue, avec délicatesse, qu’elle avait brisé son coeur lorsqu’elle avait annulé l’un de ses concerts. Mais, Maria est surtout le chant d’un cygne noir qui, d’après ce biopic élégiaque, a tenté toute sa vie de masquer sa souffrance via l’élégance et l’excellence sur scène.

Copyright Pablo Larraín

Le réalisateur porte un regard amoureux à son actrice principale, et à travers elle, à cette cantatrice d’opéra mythique. On pourra lui reprocher son partipris mais, après tout, l’art n’autorise-t-il pas le créateur à crier sa vérité ? Tout au long du monologue de Maria, qui cherche à effacer La Callas, cette diva mystérieuse, pour retrouver Maria, la jeune fille violée, vendue par sa mère à des soldats allemands, c’est le passé qui affleure.

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Autour d’elle, tout le monde – à l’exception peut-être d’un ami pianiste qui croit encore en son génie – s’inquiète. Ferruccio et Bruna (excellents Pierfrancesco Favino et Alba Rohrwacher, tout en retenue) lui confisquent ses somnifères et autres psychotropes. Sa soeur (Valeria Golino, elle aussi très bien dirigée), lors d’une scène poignante, lui demande de refermer la porte des souvenirs. Mais Maria, à défaut de pouvoir chanter comme avant, le dit, le crie haut et fort : elle veut reprendre le contrôle.

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Et pour retisser le fil d’une existence décousue, entrecoupée de drames et de ruptures imposées, la narration prévaut. Alors Maria, issue d’une famille finalement pas si aisée que ça (son père était un entrepreneur abonné aux échecs), incapable d’écrire (faute de temps ou de talent), parle. Sans cesse. A ceux qui veulent l’entendre : le patron d’un café select qui lui pardonne toujours ses éclats de voix, et à ceux qui préfèrent ne pas comprendre comme le bon docteur Fontainebleau (Vincent Macaigne) ou ses domestiques, prêts à tout pour prolonger encore un peu cette vie qui s’éteint.

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Rapidement, l’esprit embrumé par l’alcool et les drogues de Maria hallucine une figure providentielle : Mandrax (du nom de son somnifère), un jeune reporter, aussi beau qu’étrange, interprété par Kodi Smit-McPhee, dont le physique est parfait pour ce rôle de scribe confident. Maria plonge à corps perdu dans les paradis artificiels, qui bercent son désespoir, mais surtout, ouvrent les vannes de son subconscient et lui permettent de revisiter son passé. A rebours de sa vie de cantatrice, Maria déambule, anonyme se rêvant étoile, confrontée aux fantômes de son passé et aux fouineurs (le journaliste du Figaro) inquisiteurs et insensibles.

Pablo Larraín met de nouveau en scène les revers du star-system, dans des séquences réalistes (la confrontation avec le fan déçu, le journaliste) ou oniriques : le choeur d’hommes qui l’assaille sur le parvis du Trocadéro. Prisonnière de son image publique, Maria ne peut transmettre sa réalité, son vécu, ses sentiments, sa version des faits, que ce soit au sujet de son avortement présumé, de sa mère, ou de ses amours contrariées avec Aristote Onassis.

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En compétition à la Mostra de Venise, Maria est un spectacle d’art total. Pablo Larraín créé des images où passé et présent se juxtaposent, les réminiscences d’anciens concerts ajoutant à la synesthésie. La figure du double (avec Mandrax, l’amanuensis) est réfractée à l’infini : dans la rencontre, finale, de Maria et de La Callas, dans ces compositions architecturales où planchers et plafonds se rejoignent, avec ces quadrillages au sol qui font perdre pied, quand ce n’est pas la musique qui fait oublier que les images d’archives ont elles-mêmes été trafiquées, retouchées.

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Nommée au Golden Globes (meilleure actrice dans un drame), Angelina Jolie (ex Lara Croft) prouve – si cela était encore nécessaire après Anatomie d’un top model et Girl Interrupted – qu’elle peut aussi exceller dans le registre dramatique. Pablo Larraín confirme, lui, son talent à réaliser des portraits de femme sensibles et esthétiques.

5 février 2025 en salle | 2h03min | Biopic
De Pablo Larraín
|Par Steven Knight
Avec Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher…

 

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