Mon gâteau préféré, de Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha, 5 février
Cela commence comme un portrait d’un groupe de septuagénaires qui cultivent la nostalgie de leurs 20 ans. Réunies autour d’un bon repas, elles commentent avec espièglerie leurs examens médicaux, leurs maris décédés, les relations amoureuses qu’elles fantasment à bord d’un taxi conduit par un séduisant chauffeur… Puis, très vite, la légèreté est lestée d’une menace sourde. Après tout, nous sommes en Iran. C’est avec beaucoup d’intelligence que les deux coréalisateurs laissent affleurer le contexte politique et religieux.
Mon gâteau préféré n’est pas un film manifeste, il ne comporte pas de séquences édifiantes, à visée morale. Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha ont fait le pari de traduire la détresse, l’oppression, en suivant une femme âgée dans ses mouvements quotidiens. Et au lieu de s’intéresser à la jeune génération, prompte à manifester et à dénoncer le régime des mollahs, ils ont préféré adopter le point de vue d’une femme qui, à l’orée de la mort, n’a plus grand chose à attendre de la vie mais, qui, à sa manière, continue de résister.
Mon gâteau préféré est particulièrement intéressant par son traitement de l’anecdotique, vu à travers le regard d’une génération qui a connu la période où l’Iran était un pays avec des moeurs occidentales. Ces septuagénaires avaient l’habitude de prendre le thé, de boire des verres de vin aux cafés d’hôtels sélect. Elles se promenaient main dans la main avec leurs amoureux ou maris dans les jardins de Téhéran. Elles n’étaient pas voilées et se maquillaient. Les gestes, en apparence banaux, répétés par l’héroïne senior, sont autant d’actes de résistance. Lorsqu’elle s’interpose à l’arrestation d’une jeune femme qui tenait la main de son amoureux, l’un des agents de la police des mœurs lui rétorque : « Vous devriez avoir honte de votre voile » car plusieurs mèches de cheveux en dépassent. Qu’importe, Mahin décide de braver tous les interdits et invite à son domicile un autre septuagénaire, un chauffeur de taxi, ex-militaire qui lui rappelle son défunt époux.
Il y a beaucoup de délicatesse dans cet apprivoisement mutuel. Ce n’est pas simple de filmer des corps et des visages vieillissants mais le jeu de séduction entre Mahin et le timide Faramarz n’a rien de sordide. Au contraire, les attentions et la bienveillance respectives transforment ce couple hors-norme (tout au moins d’un point de vue cinématographiques) en véritables prince et princesse. L’un des mérites du film – au-delà de la critique politique – est de montrer qu’à tout âge, on peut tomber amoureux. Et le régime liberticide iranien, en instaurant une société d’espions et de délateurs (personnifiés par la voisine qui s’inquiète d’entendre une voix d’homme) tente d’empêcher les individus de ressentir la joie, préalable à toute relation épanouissante. Alors, malgré les regards inquisiteurs, Mahin dresse une table, prépare un gâteau à la fleur d’oranger, débouche un cru qu’elle avait conservé de nombreuses années. L’Orient qui s’exprime ici est celui des 5 sens, représentés par ces mets délicieux ou l’instrument de musique que jouait Faramarz dans les mariages avant de se faire arrêter et tabasser.
Mon gâteau préféré est également remarquable par son usage du cadre. La première moitié du film voit déambuler Mahin dans les rues de Téhéran. La vieille femme recherche désespérément des traces du passé, de sa jeunesse dorée et heureuse, dans les cafés et jardins d’autrefois. Hélas, tout a changé. Et c’est lorsqu’elle rejoint son domicile, à l’abri des regards extérieurs, qu’elle peut enfin renaître et être elle-même. Dans un espace restreint (le salon, la chambre, la salle de bain et le jardin), les réalisateurs parviennent à raconter un autre récit, un conte de fées improbable comme si nous étions, avec Mahin et Faramarz, en apesanteur, protégés dans une bulle. Le revirement final qui prive cette belle histoire de happy end en désarçonnera plus d’un : comme si la promesse d’un futur meilleur était elle-même niée par les créateurs – désabusés ? – de ce film enchanteur. Comme si tout héros tragique se devait d’être puni à la fin pour avoir osé défier le pouvoir. Remercions néanmoins le cinéma d’offrir, aux opprimés, une fenêtre – même réduite – sur l’amour et le rêve.
5 février 2025 en salle | 1h36min | Comédie dramatique, Drame, Romance
De Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha
|Par Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha
Avec Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Ilkhani…
Titre original : Keyke mahboobe man
5 février 2025 en salle | 1h36min | Comédie dramatique, Drame, Romance
De Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha
|Par Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha
Avec Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Ilkhani…
Titre original : Keyke mahboobe man
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