Une langue universelle, de Matthew Rankin, 18 décembre, Prix du public de La Quinzaine des Cinéastes.
Matthew, fonctionnaire originaire des Rocheuses canadiennes, décide de quitter le Québec pour retourner vivre à Winnipeg. Sur place, deux enfants ont découvert un billet pris par les glaces. A la recherche d’une pelle ou de tout autre objet pouvant délivrer le précieux pactole, ils se lancent dans une quête irréelle à travers cette ville enneigée qui fonctionne au ralenti. Mais leurs efforts vont être contrecarrés par la présence d’un guide touristique farfelu et inquiétant qui convoite aussi le billet.
A l’image de la mémoire abîmée de la maman de Matthew, temps et espace se télescopent dans Une Langue Universelle. Le voyage retour du fonctionnaire désabusé est surtout un voyage dans le passé. Si la ville, d’un point de vue architectural, a peu changé depuis son départ, elle est désormais peuplée d’habitants exerçant de drôles de métiers : une lacrymologue qui recueille les larmes des familles de défunts au cimetière municipal, un boucher qui érige ses dindes les plus méritantes au rang d’employée du mois, un animateur de bingo queer dans un club du 3e âge…
Matthew Rankin filme une galerie de personnages hors normes dont l’extravagance finit par revêtir un caractère angoissant. Le rire, face à l’avalanche de jeux de mots comiques et de trouvailles visuelles exubérantes, fait rapidement place à la peur. A la manière d’un Guy Maddin qui distord la réalité pour exfiltrer névroses et frustrations, les bizarreries cinématographiques de Rankin sont des signifiants lourds de sens.
Winnipeg apparaît comme une cité triste, figée dans le temps, parsemée des reliquats d’un passé plus dynamique. Le silo à grains et le grand congélateur sont les vestiges d’une époque industrielle glorieuse, tandis que le centre commercial aux boutiques fermées témoigne lui, de la crise inflationniste qui empêche les ménages de consommer… Pour le visiteur, Winnipeg n’a aucun attrait et la nature, qu’on devine pourtant majestueuse, à quelques kilomètres de là, reste complètement hors-champ.
Prisonnier d’une cité déshumanisée où les tombes des êtres chers sont coincées au milieu de deux bretelles d’autoroutes, le spectateur est ballotté – à l’instar des touristes fatigués – de monuments anecdotiques (le banc de l’amitié déclaré patrimoine mondial par l’UNESCO) en immeubles aux façades quasi soviétiques. Si tout était à prendre au premier degré, on en pleurerait, mais en plus de déconstruire le visible (en proposant paradoxalement un cadre filmique ultra construit aux formes géométriques épurées), Rankin tord les mots et les situations.
Le professeur, Monsieur Bilodeau, (québécois encore ! faut-il voir avec l’infâme personnage du responsable RH montréalais, une pique contre les voisins francophones) martyrise-t-il ses élèves en leur déclarant qu’ils sont tous « foutus » lorsqu’ils égrènent leurs métiers de rêve – diplomate, comique, éleveur d’ânes – ou est-il la voix de la sagesse ? Et quoi penser du guide, un homme, manifestement prêt à voler de l’argent aux enfants ? Le réalisateur du film interprète aussi Matthew dans Une Histoire Universelle et, en faisant du guide son double maléfique, il s’interroge sur les moments de bascule et la relativité des convenances sociales.
Une Histoire Universelle est aussi un récit migratoire. Matthew, l’homme aux deux identités, aux deux pays, qui a vécu dans un Canada linguistiquement divisé, revient dans la communauté perse de Winnipeg. Il se sent dépossédé de son rôle de fils par le guide, cet imposteur, ce menteur… Mais, dans une région où à la fois personne ne se comprend et au final, tout le monde s’entend, les dialogues et chants en farsi disent l’essentiel, l’universel. L’amour, représenté par les crocus du fleuriste iranien, se cultive, et grâce à lui, la beauté se répand, y compris dans un monde froid et laid.
Dans une note d’intention du réalisateur publiée sur le site du Groupement National des Cinémas de Recherche, Matthew Rankin indiquait : « C’est un film qui ressemble à un ornithorynque fou : une part de cinéma québécois, gris et solitaire, une part de film casse-tête surréaliste de Winnipeg, une part de réalisme poétique iranien à la Kanoon, les trois se reflétant et se réfractant à travers le prisme de l’un et de l’autre (…) Le cinéma iranien émerge de 1000 ans de poésie tandis que le cinéma canadien émerge de 40 ans de publicités pour des meubles à prix réduit. » Cette déclaration ne plaira pas à tout le monde mais elle résume admirablement bien ce film, original et beau.
18 décembre 2024 en salle | 1h29min | Comédie, Drame
De Matthew Rankin
Avec Matthew Rankin, Pirouz Nemati, Rojina Esmaeili
Titre original : Universal Language
Prix du public de La Quinzaine des Cinéastes.
Commentaires récents