Fotogenico, de Marcia Romano, Benoit Sabatier, 11 décembre (Acid Cannes 2024)
Film punk, Fotogenico prend aux tripes et ne vous lâche pas jusqu’au dernier accord. L’album Fotogenico composé par le quatuor héroïque – Tina, Venus, la regrettée Agnès, Brune (Bella Baguena) – est un fil d’Ariane qui permet à Raoul (Christophe Paou, incroyable), quinqua paumé, de remonter le temps et renouer avec sa fille disparue. Fil conducteur qui dicte le rythme du film, ses rencontres et multiples rebondissements, la musique de l’album fictionnel (signé en vrai par le groupe Froid Dub) trace une cartographie d’un Marseille underground plus ou moins interlope.
Dédié à Daniel Darc (lire ici l’interview qu’il avait accordée à Télérama avant de mourir), le film est peuplé de fantômes. L’androgyne Angèle Metzger, avec ses paupières bleues et ses cheveux orange, n’est pas sans rappeler David Bowie, quant à la vénéneuse Roxane Mesquida (qui, en dehors des films de Quentin Dupieux s’est faite trop rare au cinéma), son regard perdu évoque parfois une Romy Schneider au bord de l’abîme. Souvent cocasse, ce drame empli de teufeurs, d’artistes maudits et d’addicts en tout genre, est une sorte de traversée de miroir pour son héros, Raul, quinquagénaire endeuillé et alcoolisé.
Co-réalisé par Marcia Romano et Benoît Sabatier, ancien rédacteur en chef de Technikart, Fotogenico a l’énergie d’un commando guerilla qui s’offrirait une virée vengeresse sous amphètes, essayant de prendre d’assaut une cité qui ne cesse de se dérober. Raul affirme : « Marseille m’a englouti » et en plus de lui avoir pris sa fille, décédée d’une overdose, la ville lui a joué plusieurs sales tours. Plus qu’un simple décor, Marseille est un personnage à part entière. Tantôt lumineuse, près de la Corniche, ou sur la plage de la Pointe Rouge, Marseille devient oppressante dans les petits appartements qu’on dirait sans fenêtres, donnant sur de tortueuses rues sombres.
Dans l’esprit embrumé de Raul, la ville prend et ne donne jamais. La première partie du film le met en scène déambulant en slip rouge. On lui vole d’abord ses pneus de voiture puis, ses vêtements. Si la cité phocéenne peut sembler dure, voire dangereuse au premier abord, le contexte social est subtilement évoqué à travers les discussions échangées avec Ismael, un jeune beur qui fait les trois-huit, comme gardien d’un terrain vague. Il répond à Raul que les objets dérobés étaient peut-être vitaux pour les voleurs.
Malgré ses atermoiements, les ami.es d’Agnès n’hésitent pas à lui rappeler sa part de responsabilité dans la descente aux enfers de sa fille, fille de divorcés, fille d’un père alcoolique… In fine, la violence de Marseille c’est de confronter Raul à un principe de réalité.
La réalité dans ce qu’elle a de plus glauque, de plus trouble. Dévasté par le chagrin, Raul est sur le point de succomber aux sirènes de l’oubli, en compagnie du dealer (génialissime John Arnold, davantage vu sur les planches) de sa fille. Le comédien John Arnold, salué dernièrement pour sa prestation dans le rôle-titre de L’avare au théâtre de la tempête est méphistophélique. Dès son apparition, le film prend une dimension lynchéenne. Aux pièces borgnes d’apparts miteux, succèdent des sous-sols lugubres. L’enjeu n’est plus de savoir si Raoul parviendra à reconstituer les dernières années d’Agnès en assemblant les pièces du puzzle. Les baignades ont désormais un avant-goût de Plein Soleil, avec Lala (Roxane Mesquida) comme femme fatale et Lekooze (John Arnold) en tentateur ambigu.
Néanmoins, Fotogenico reste un film optimiste qui célèbre les vertus salvatrices de la musique et du collectif. C’est l’énergie de tous ces jeunes – qu’il a pourtant du mal à comprendre – qui sauve Raoul. Une vision positive de la jeunesse à travers un film qui donne envie de (re)découvrir Marseille.
11 décembre 2024 en salle | 1h34min | Drame
De Marcia Romano, Benoit Sabatier
|Par Marcia Romano, Benoit Sabatier
Avec Christophe Paou, Roxane Mesquida, Angèle Metzger…
Commentaires récents