Grand Tour, Miguel Gomes, 27 novembre
Il n’est jamais aisé de faire la critique d’un film que l’on a vu pour la première fois il y a plus de 6 mois. Lorsque j’ai découvert en projection presse Grand Tour de Miguel Gomes, Prix de la mise en scène au festival de Cannes en 2024, j’étais passablement agacée. La faute à un métrage trop long qui aurait pu être amputé d’au moins 30 minutes. Comme ne cesse de le marteler le grand Paul Hirsch: « make movies shorter. » Néanmoins, même si je me rappelle avoir jeté au moins deux coups d’oeil à ma montre, le souvenir qui reste de Grand Tour est un kaléidoscope plaisant d’images en tout genre – scènes de rue filmées type documentaire, fiction en costumes d’époque – s’accommodant parfaitement d’un blanc et noir granuleux qui confère à cette expérience cinéphilique une dimension onirique.
Le prix de la mise en scène est largement mérité. Si l’architecture du film révèle somme toute une ossature assez dichotomique, le réalisateur portugais parvient encore, après Tabou, à entraîner le spectateur dans un entre-deux existentiel des plus troublants. Il faut revenir sur les conditions de tournage de Grand Tour : pour donner corps, forme et substance à ce film multiple, Gomes a lui-même entrepris un Grand Tour des pays autrefois conquis et colonisés par l’empire portugais. Il a embarqué scénaristes, chef opérateur image, chef opérateur son, accompagnés des membres de la production pour une virée en Asie, se rendant en Birmanie, puis à Singapour, en Thaïlande, sans oublier le Vietnam, les Philippines, et le Japon. Le COVID interrompt ce périple et commence alors un deuxième tournage à distance avec une équipe technique basée en Chine.
Lorsque Gomes intègre ces images qu’on pourrait qualifier d’archives à la fiction, il nourrit son récit de touches exotiques : un théâtre d’ombres, des danses en costumes traditionnels… L’objectif est de faire surgir une forme de réalité sociale mais le résultat est plutôt opposé : en rendant ces images intemporelles (elles ont été tournées en 2020 mais illustrent un récit censé de dérouler en 1918), le réalisateur objectifie l’exotisme et les stéréotypes rattachés à ces contrées. De là à dire qu’il pose lui-même un regard de colonisateur sur les peuples filmés, il y a énorme pas qu’on s’abstiendra de franchir.
Le point de départ du film – outre ce Grand Tour – est la lecture d’un texte de Sommerset Maugham qui mentionnait un anglais expatrié en Birmanie qui avait fui sa fiancée avant de finalement l’épouser. Comme l’indique Miguel Gomes dans ses notes d’intention, la tonalité du film rappelle les screwball comedies d’antan avec des femmes résolues à la Katharine Hepburn. Les acteurs choisis par le réalisateur sont excellents : Gonçalo Waddington est lâche à souhait tandis que Molly (Crista Alfaiate) force le respect. Mais l’intérêt de Grand Tour dépasse largement sa mise en scène originale et stylée : dans la toute dernière partie, le film bascule dans le mélo le plus larmoyant après avoir fait un petit détour par la case roman de gare mâtiné de pulp – lorsque Molly est plus ou moins séquestrée dans une sublime plantation par un homme fort – l’opposé d’Edward – qui souhaite seulement la protéger de son obsession pour un fiancé superficiel et inconséquent.
La capacité de Miguel Gomes à faire coexister tous ces univers, à la fois anachroniques et antithétiques, est un artifice de plus mais qui, en un sens, rend hommage à la magie du cinéma et nous fait croire à cette histoire d’amour par-delà les océans et le temps.
27 novembre 2024 en salle | 2h08min | Aventure, Comédie dramatique
De Miguel Gomes
|Par Miguel Gomes, Telmo Churro
Avec Gonçalo Waddington, Crista Alfaiate, Teresa Madruga
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