Carla et moi, de Nathan Silver, 23 octobre
En découvrant Carla et moi, comment ne pas songer à ce film indépendant devenu un classique du cinéma des années 1970 aux USA, Harold & Maude, réalisé par Hal Ashby ? Comme Harold, Benjamin Gottlieb (Jason Schwartzman) est suicidaire et dépressif. Comme Maude, Carla O’Connor continue de croquer la vie à pleine dents, malgré son âge et les épreuves du passé. Après Asteroid City de Wes Anderson, Jason Schwartzman renoue avec un rôle de veuf. Dans ce film, il n’est pas un journaliste de guerre mais un cantor : l’homme chargé de chanter lors des offices à la synagogue. Mais, plus d’un an après le décès de son épouse, une romancière alcoolique qui avait établi son succès en parsemant ses romans de scènes sexuellement explicites, Ben perd sa voix.
Comme dans Harold & Maude, la mère du protagoniste organise des blind dates afin de lui trouver une nouvelle épouse. Contrairement au héros d’Harold & Maude, Ben n’est pas dans la provocation. Il ne conduit pas de corbillard et il ne multiplie pas les tentatives de suicide ratées. Il porte son deuil de manière discrète, low-key et la scène où il prend ses jambes à son cou devant un parterre de coreligionnaires symbolise son embarras. Schwartzman qui peut être séduisant dans d’autres films apparaît ici bedonnant, peu assuré… Son spleen est communicatif : ses élèves de bar et bat-mitsvah s’ennuient ferme, son rabbin (Robert Smigel) tente mollement de lui remonter le moral.
En fait, Ben n’a pas besoin de rencontrer de jeunes juives (voire même goys comme cette femme qui lui avoue aimer les partenaires sans prépuce !). Ce qu’il lui faut c’est un bon électrochoc et surtout, une tonne de tendresse. Et c’est sous la forme de son ancienne professeure de musique, Carla O’Connor, fille et petite-fille de juifs athées communistes, veuve d’un newyorkais irlandais, que se manifeste le séisme qui bouleverse (pour le mieux) Ben. Dans ce film, mélange étonnant de naturalisme et de screwball comedy (au début, Carla horripile Ben), la pesanteur et le vague à l’âme de Ben s’accommodent bien de la texture granuleuse de la photographie hivernale de Sean Price Williams. Ben est dans le flou, il ne comprend plus rien à la vie et se risque même à discuter religion avec un prêtre catholique, une séquence en apparence anecdotique mais riche d’enseignement.
Carla et moi n’est pas qu’une comédie douce-amère sur une relation amicale puis amoureuse entre deux êtres dont la différence d’âge choque, même les esprits les plus ouverts. L’action se déroule au sein d’une communauté juive reconstructionniste : divorcés, non juifs, individus issus de groupes LGBTQ+ y sont les bienvenus. Et pourtant, lorsque les sentiments de Ben pour Carla éclatent au grand jour, le malaise est palpable et la caméra adopte un rythme à la fois elliptique et tressautant. Elle s’attarde sur des mains, des rictus figés, des yeux qui se baissent vers l’assiette, les individus, incompris ou incompréhensifs, sont morcelés. Le film s’attache à montrer que bien souvent le confort spirituel et social ressenti lorsqu’on appartient à une communauté religieuse ne suffit pas si la joie est absente des liens créés. Carol Kane, comédienne vétérane qui a tourné avec Gene Wilder dans le film parodique The World’s Greatest Lover et avec Dennis Hopper et Kiefer Sutherland dans Flashback possède à la fois le charme et le grain de folie nécessaire pour faire croire à cette amitié amoureuse.
Ben désire physiquement la fille du rabbin et saisit l’intérêt que pourrait représenter son union avec elle, mais c’est avec Carla qu’il vibre, rit, et se sent aimé ou en sécurité. Le film est aussi une réflexion sur l’identité religieuse. Carla qui a été élevée par des parents d’origine juive mais athées désire faire sa bat-mitsvah avant de mourir. Alors qu’elle ne mange pas kosher, qu’elle ne respecte aucune des interdictions rituelles, elle veut à tout prix être acceptée dans cette communauté car elle a le sentiment d’avoir été privée de quelque chose, enfant. Convoquant fantômes (l’épouse de Ben) et parenthèse psychédélique (après l’ingestion d’une tisane aux champignons hallucinogènes), le film nous interpelle : avons-nous oublié l’enfant que nous étions autrefois ? Le retour à la vie de Ben passera par cette étape : après s’être souvenu du garçon souriant qu’il était, il retrouvera sa voix.
23 octobre 2024 en salle | 1h51min | Comédie, Drame
De Nathan Silver
|Par Nathan Silver, C. Mason Wells
Avec Jason Schwartzman, Carol Kane, Dolly de Leon…
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