Un amor, Isabel Coixet, 9 octobre

Satire au vitriol de la ruralité espagnole, Un amor vous dégoutera à jamais de vouloir quitter la ville pour la campagne. Un amor est l’adaptation cinématographique d’un roman de Sara Mesa, qui a récemment publié aux éditions Grasset, La famille, dans lequel elle dépeignait l’hypocrisie d’une certaine éducation espagnole, en apparence progressiste, mais en réalité mortifère et oppressive. Avec Un Amor, la réalisatrice Isabel Coixet à qui l’on doit l’excellent documentaire Escuchando al juez Garzón renoue avec les figures de marginaux qui peuplaient déjà ces précédents longs-métrages de fiction. Dans The Bookshop (récompensé par 3 Goyas en Espagne -l’équivalent de nos Césars), Florence Green, jolie veuve de guerre, se heurtait à la méfiance et à l’hostilité des villageois de la petite localité côtière où elle souhaitait prendre un nouveau départ en installant sa librairie.

Copyright Arizona Distribution

Avec Un Amor, il est de nouveau question de seconde chance, de deuil et de mots. Natalia est traductrice et interprète. Elle a longtemps exercé auprès de migrants dont elle recueillait et traduisait les paroles. Femme mutique, elle est traversée par les émotions et les traumas des autres. Natalia écoute, entend, encaisse et l’on comprend au détour d’une conversation avec un autre laissé pour compte, qu’un jour, elle n’a plus supporté toute cette douleur exprimée dans une autre langue. Si la critique de la ruralité et du patriarcat espagnol est féroce, le film d’Isabel Coixet s’obstine à rester dans les non-dits et la pudeur de son héroïne peu loquace. Frustration du spectateur qui aimerait savoir avec certitude pourquoi cette héroïne mutique s’est enfermée dans un village peu accueillant, avec une maison pleine de fuites, entourée d’hommes machos qui la considèrent, en raison de son statut de célibataire, comme une prostituée.

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Isabel Coixet avait déjà traité ce thème de l’individu face à la communauté dans The Bookshop (autre adaptation d’un roman). Mais si la libraire Florence était rayonnante, Natalia est déjà brisée en arrivant à la campagne. Les premières minutes du film laissent penser à une analyse désenchantée du rêve des néoruraux. Aux amoureux des champs, le trait semblera peut-être un peu forcé, mais la cinéaste, avec une économie de moyens et de somptueux plans qui font toujours mouche, excelle à mettre en lumière les médisances et autres mesquineries des locaux. La solidarité n’est jamais gratuite mais vise à instaurer un noeud d’interdépendances duquel il est difficile de s’extirper. Le sentiment d’appartenance n’est là que pour pointer du doigt, critiquer les différences et mettre à l’index. Tout le monde s’épie en permanence et la phrase prononcée par plusieurs villageois, qui peu à peu, finissent par ostraciser Natalia est « On est un petit village, ici tout le monde se connaît. »

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Mais de quoi est coupable Natalia ? D’abord, elle n’a pas choisi le bon parti du village, malgré ses multiples sollicitations et « repas à quatre » organisés par le couple vedette du bled. La relation que l’héroïne instaure avec El Aleman (qui est en réalité arménien !) est pour le moins trouble, basée sur des fondations peu solides, mais la réalisatrice réussit à créer une bulle de tendresse autour de ces deux êtres meurtris par la vie. Juste un temps, car le film narre ensuite, à la manière d’un thriller poisseux, la spirale vers l’enfer de Natalia qui prise dans un réseau de regards méchants et espions, finit par perdre pied. On pourra reprocher à Isabel Coixet la symbolique – pas toujours légère – à l’oeuvre dans la catégorisation des personnages : Natalia (qui ferait mieux de se montrer un peu plus égoïste) est sans cesse attirée par les personnes ou animaux dans le besoin, que ce soit El Aleman ou sieso (crapule), le chien aux multiples cicatrices (car maltraité) qu’elle a recueilli.

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Finit-on par mordre ou devenir méchant, quand on ploie sous les coups ? Non, répond Coixet à travers un personnage qui parvient à rester libre et digne en dépit de la calomnie et des attaques en tout genre. Un Amor dérangera certainement mais c’est une belle réflexion sur la liberté du désir féminin et l’aspiration de certains individus à tracer leur chemin, hors des conventions sociales.

9 octobre 2024 en salle | 2h09min | Drame, Romance
De Isabel Coixet
|Par Isabel Coixet, Laura Ferrero
Avec Laia Costa, Hovik Keuchkerian, Luis Bermejo

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