Sauvages, de Claude Barras, 16 octobre
Il faut aller voir, seul, en famille, avec des amis, à tout âge, Sauvages, le nouveau film d’animation du réalisateur suisse Claude Barras, qui sortira le 16 octobre prochain, plus de 8 ans après Ma vie de Courgette, couronné de deux Césars et de plusieurs prix au festival d’Annecy. Dès les premières images, on reconnaît le style inimitable de Claude Barras : ces bouilles rondes aux gros traits, animées en stop motion. Mais attention : changement de décor, nous quittons la France pour la jungle de Bornéo. C’est en lisière de forêt que vit Kéria, une jeune fille élevée par son père depuis la disparition de sa maman, quand elle était enfant. Dès les premières minutes de film, les enjeux sont posés. Kéria, jeune fille à l’aise dans ses baskets, devra abandonner son confort et ses habitudes d’adolescente bien intégrée, pour comprendre d’où elle vient et ce que son peuple doit à la forêt. Car en dépit de sa teinture de cheveux, de son utilisation des réseaux sociaux, et du mépris qu’elle affiche pour Selaï, son petit cousin venu de la forêt vivre chez elle, Kéria est une autochtone, une « sauvage » selon les critères de ses copines et des contremaîtres de l’entreprise de déforestation qui emploie son père.
Chez Claude Barras, point d’angélisme. Kéria, qui méconnaît son histoire familiale, traite Selaï de Néandertalien. La forêt, source de richesses et de vie, est également dangereuse pour quiconque s’y aventure sans guide. Oshi, le petit singe qu’elle recueille et auquel les jeunes spectateurs s’identifieront volontiers, deviendra un immense orang-outan qui n’hésitera pas à montrer les dents pour défendre sa famille s’il s’estime menacé. Pour refléter au mieux le mode de vie des derniers nomades des forêts tropicales d’Indonésie, Claude Barras a fait appel à plusieurs personnes.
Il a discuté avec Emmanuelle Grundmann, biologiste et spécialiste des grands primates. Il a également collaboré avec Nelly Tungang, une Penan née dans la jungle de Bornéo qui vit depuis 30 ans en France. Avec ses deux filles, elles sont les seules représentantes de ce peuple en Europe. Elle a créé il y a 15 ans l’Association JTL, Jaga Tana Lalun : protégeons la forêt vierge. Le film fait la part belle aux dialogues dans le dialecte autochtone et un soin particulier a été apporté à la bande-son, conçue par Charles De Ville, qui s’est rendu trois semaines à Bornéo pour y enregistrer des sons au sein de la forêt.
Le résultat est donc un sublime voyage sensoriel, en prise aussi avec l’actualité : l’écocide en cours, avec la complicité des gouvernements et instances internationales, en voie de détruire les forêts d’Indonésie. Deux camps s’affrontent dans le film : une poignée d’habitants résidant encore au coeur de la forêt et les ouvriers, employés ou patrons des multinationales qui s’enrichissent en abattant les arbres afin de vendre le bois et d’instaurer l’huile de palme comme monoculture.
Au milieu de ce champs de bataille, plusieurs personnages possèdent une double culture. Kéria, d’abord. Au contact de ses grands-parents et de son jeune cousin, l’adolescente découvrira une autre façon d’être au monde, plus respectueuse de la terre et des générations passées. Quant à son père, cet ancien militant écologiste qui s’est résigné pour – croit-il – offrir un meilleur avenir à sa fille, les secrets de famille lui exploseront à la figure. A travers le personnage de Jeanne, une biologiste et universitaire diplômée d’Oxford, Barras rend indirectement hommage à Bruno Manser, militant suisse qui après avoir adopté le mode de vie de ses hôtes et gagné leur confiance, disparut de manière non élucidée (probablement tué par les hommes des multinationales) parce qu’il militait inlassablement pour la défense de la forêt. Cette multiplicité de points de vue reflète la complexité de la situation des Peuples Premiers. A rebours du mythe du bon sauvage, Claude Barras nous montre des autochtones qui utilisent les signes extérieurs de modernité et progrès (téléphone portable, radio, langue non indigène) pour protéger la Nature.
Le décalage entre les premières impressions (le chef stoïque peu loquace) et la réalité – un militant ultra connecté qui a pour sonnerie The Eye of the Tiger – suscite à la fois rire et réflexion. Si les populations locales envoient leurs enfants en ville, ce n’est pas par abandon ou négligence mais pour leur permettre d’apprendre une langue dans laquelle ils pourront revendiquer leurs droits, et notamment celui d’être considérés citoyens et obtenir des papiers d’identité. Réalité socio-politique, appel au secours écologiste (dont l’urgence est rendue par l’usage de la chanson de Balavoine, Tous les cris, les SOS…) et onirisme (les séquences où la panthère apparaît), cohabitent dans ce film ultra-maîtrisé qui fait vaincre le Bien à la fin. Ce happy-end nous invite à ne pas en rester là : malgré l’espoir, rien n’est gagné pour les Peuples d’Indonésie qui ont besoin du soutien des citoyens du monde entier pour lutter contre les multinationales et les responsables politiques corrompus. La sortie et la promo du film lors des différentes avant-premières programmées en France s’accompagnent d’une campagne-impact : les différentes modalités d’action (dons, manifestations, pétitions, table-ronde, actions éducatives etc…) sont à retrouver en cliquant ici.
16 octobre 2024 en salle | 1h27min | Animation
De Claude Barras
|Par Catherine Paillé, Claude Barras
Avec les voix de Babette De Coster, Martin Verset, Laetitia Dosch
Pour poursuivre le débat : lire Bruno Manser, la voix de la forêt de Ruedi SUTER publié chez Black-Star(s) éditions.
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