Sunny, série TV créée par Katie Robbins, depuis juillet, Apple TV+
Sunny est une série TV transgenre en ce sens qu’elle mêle avec brio des éléments de science-fiction, de thriller et de drame. Portée par l’interprétation magistrale de Rashida Jones qui délaisse la comédie à laquelle les créateurs de série TV l’avaient trop souvent cantonnée, Sunny se déroule au Japon, plus précisément à Kyoto, dans un futur proche. Dans cette société nippone fictive encore très pénétrée par les traditions et valeurs ancestrales, les foyers sont quasiment tous équipés de robots (homebots) qui assistent les humains dans les différentes tâches du quotidien.
Adaptation d’un roman – d’abord intitulé The Dark Manuel (publié en 2018 chez Betime Books) puis ressorti sous le titre Sunny en 2023 chez Mariner Books – la série TV Sunny offre une vision à la fois réaliste et subjective du Japon de la part d’un.e expatrié.e. En effet, l’auteur du livre éponyme est Colin O’Sullivan, un professeur qui enseigne l’anglais depuis quelques années au nord du Japon. Dans The Dark Manuel/Sunny, il a créé un alter-ego, Suzie Sakamoto, une expatriée nord-américaine qui a perdu Masa (Hidetoshi Nishijima, excellent) son époux japonais, ainsi que leur fils, Zen, dans un crash d’avion.
Au début de la série, Suzie n’est pas vraiment une héroïne pour qui le spectateur ressent de la compassion. Installée depuis plusieurs années au Japon, elle n’a jamais fait l’effort d’apprendre la langue et très vite, elle s’est enfermée dans une sorte de cocon protecteur matérialisé par la maison ultra-connectée conçue par Masa, un génie de la domotique. Jurant comme un charretier, peu encline à respecter les coutumes policées des Japonaises, Suzie refuse de croire en la mort des deux seuls êtres avec qui elle communiquait. Mais très vite, sa rebellion, qu’on pouvait mettre sur le compte du deuil, entre en résonance avec des éléments d’enquête pour le moins troublants.
Comme dans tout bon thriller qui se respecte, les apparences sont trompeuses. Le robot, Sunny, qu’elle reçoit après la mort de Masa est-il là pour la protéger ou au contraire pour la surveiller et peut-être même, l’assassiner ? Dans l’entourage immédiat de Suzie, tout le monde paraît avoir des secrets à cacher : sa belle-mère Noriko (Judy Ongg), les collaborateurs de Masa… Les premiers épisodes prennent soin de montrer l’effondrement à la fois psychique et émotionnel d’une épouse et mère qui découvre, à la suite d’un terrible drame, que son mari n’était pas qui il semblait être. A travers une série de flash–back, de visions embrumées par l’alcool, les scénaristes brouillent les pistes entre souvenirs et multiples réalités d’un homme condamné à fuir, à cause de ses découvertes scientifiques.
Masa travaillait-il pour les yakusas ou tentait-il de les empêcher de mettre la main sur ses robots intelligents ? Au coeur du drame familial, un questionnement philosophique et scientifique qui n’aurait pas déplu à Isaac Asimov. Quelle place pour les robots dans une société caractérisée par un délitement des liens sociaux et un isolement croissant des individus ? Un robot peut-il finir par remplacer un être humain ? Développer des sentiments ? Et que faire si le robot au service de l’humain devient aggressif ? Si les personnages de Sunny n’y font jamais allusion nommément, les trois lois de la robotique d’Asimov structurent les nombreux rebondissements de cette série intelligente.
Mais Sunny n’est pas une énième variation – à la sauce nippone et ultra-maîtrisée – du thriller matiné d’intellligence artificielle : c’est avant tout une déchirante histoire d’amour entre deux êtres un peu à la marge. Au fil des épisodes, le spectateur se laisse émouvoir par l’amour – profond et sincère – de Suzie pour son mari et surtout son fils. Certes, ce n’est pas une maîtresse de maison irréprochable, et elle se fiche pas mal des convenances sociales, mais c’est une femme loyale et sincère, prête à tout pour retrouver Masa et Zen. La créatrice de la série TV, Katie Robbins, et les scénaristes ont offert un magnifique rôle de composition, à la hauteur de son talent, à Rashida Jones qui, ici, peut exprimer toute une palette d’émotions (qui sonnent toujours justes).
[attention spoilers] Suzie n’est pas la misanthrope égoïste décrite par sa belle-mère et Masa n’est pas un scientifique autoritaire corrompu par les yakusas. C’est au contraire leur extrême sensibilité et sens moral qui les a rapprochés, dans une sorte de méfiance commune envers la société en général. Un épisode entier est consacré à la jeunesse de Masa, devenu hikikomori (reclus dans sa chambre plusieurs années) à la suite du décès de son père supposé.
La série propose une vision optimiste de l’AI en montrant comment des robots peuvent aider différents types de profils – jeunes et moins jeunes – à sortir de l’isolement. Les éléments dramatiques alternent avec des moments plus drôles, souvent issus du décalage entre l’identité nord-américaine de Suzie et la culture japonaise. Plusieurs personnages secondaires – la belle-mère, et Mixxy la barmaid, amie de Suzie (joué par la chanteuse et youtubeuse Annie the Clumsy) – remplissent à merveille leur rôle de sidekick comiques, notamment Judy Ongg dans l’épisode who’s in the box? qui prend la forme d’un plateau de jeu TV alors que nous sommes à l’intérieur de la « conscience » du robot Sunny.
Tourné en partie à Tokyo et en extérieur à Kyoto, Sunny utilise à bon escient des landmarks iconiques tels que la pagode Yasaka ou la rue pavée Ninenzaka, avec aussi les festivités du Setsubun… Servie par une bande-son sixties avec des classiques de Don Gibson, ou le tube pop japonais de Mari Atsumi, Suki Yo Ai Shite, qui accompagne le générique, Sunny est une série très originale, à la fois émouvante et drôle, qui se conclue par un twist final laissant espérer une seconde saison tout aussi réussie.
Depuis 2024 | 30 min | Comédie, Drame, Thriller
Créée par Katie Robbins
Avec Rashida Jones, Hidetoshi Nishijima, Joanna Sotomura
Nationalité U.S.A.
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