Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau, Gints Zilbalodis, 30 octobre 2024

Attention, chef d’œuvre ! Auréolé de 4 prix (Prix du Public, Prix du Jury, Prix de la Fondation Gan, Prix de la Meilleure Musique Originale) à la dernière édition du festival d’Annecy, Flow révolutionne les codes du film d’animation et impose une vision d’auteur à la fois exigeante et sensible. Vous en avez marre des supers-productions américaines ou européennes avec des personnages animaux anthropomorphes aux babillages incessants, toujours lancés dans des courses poursuites sans queue ni tête ? Flow est pour vous. Véritable odyssée, à bord d’un bateau à voile, ce long métrage réalisé par l’artiste letton Gints Zilbalodis traverse de somptueux paysages submergés. Le début du film montre comment les dernières traces de présence humaine (notamment la maison d’un sculpteur sur bois et pierre, propriétaire d’un jeune chat noir) disparaissent sous les flots. Pour les animaux de compagnie et les petits mammifères, il faut trouver un moyen de survie et Flow est le récit d’une cohabitation entre plusieurs espèces réfugiées sur un rafiot de fortune.

Avec son précédent long-métrage – Ailleurs, récompensé par le prix Contrechamps au festival d’Annecy en 2019 – Gints Zilbalodis avait déjà prouvé qu’il était passé maître dans l’art de créer des ambiances mystérieuses à souhait. Sur ce film, le réalisateur assurait avec brio les postes de metteur en scène, scénariste, animateur, monteur, bruiteur et compositeur de la musique. On y suivait un motard lancé dans une fuite éperdue à travers un environnement naturel déroutant. Avec Flow, Gints Zilbalodis réussit à dépeindre une terre qui semble autant familière qu’étrangère. C’est le règne du gigantisme et grâce à la montée des eaux, les avenues des villes se sont transformées en corridors pour baleines.

Le réalisateur floute volontairement nos repères géographiques et urbains : les cités immergées traversées rappellent parfois de vastes complexes antiques entre colonnades et aqueducs tandis qu’à la fin, la multiplication de temples, certains d’aspects tibétains, suggèrent que l’épopée touche son terme en Asie. L’aigrette qui accompagne le jeune chat noir n’est-elle d’ailleurs pas – attention spoilers – l’émanation d’une déité bouddhiste bienfaisante au vu de son ascension finale et des nombreux sacrifices qu’elle a effectués depuis le début du périple ?

L’aventure des 5 animaux initiaux – ils seront rejoints à la fin par une meute de chiens – se double d’une réflexion philosophique habile (dans sa construction narrative et visuelle) et passionnante sur l’intérêt de faire communauté tout en respectant les individualités. Dans ce monde sans hommes, il est aisé pour le spectateur de s’identifier à l’un ou l’autre des passagers : au chien fidèle et soucieux d’appartenir à un groupe, au capybara tranquille et détaché, à l’aigrette justicière et altière, au lémurien nerveux ou au chat égoïste car trop indépendant. Mais on aurait tort de plaquer sur les interactions des animaux à l’écran nos comportements. L’équipe technique a veillé à n’utiliser aucune imitation de cris mais seulement des sons enregistrés dans la nature. Ainsi, malgré la dimension symbolique du récit, les personnages demeurent très réalistes.

Si Gints Zilbalodis n’explicite rien et laisse suffisamment de liberté au spectateur pour se faire ses propres interprétations – comme avec le lémurien qui pourra représenter les travers du matérialisme, ou au contraire, le désir de préserver des objets du passé témoignant d’une histoire et d’un esthétisme révolus – il parsème sa navigation de séquences clefs comme celle avec le grand arbre menaçant d’entraîner le capybara vers le ravin et une mort certaine. Si le chien avait cédé à l’instinct de meute, il aurait causé la mort de son compagnon à 4 pattes. Une manière peut-être pour le réalisateur de nous dire que la terre serait sans doute plus belle sans ces humains, trop soucieux de conformisme à la loi du plus fort, pour être capables de veiller sur leurs semblables et le futur de la planète.

30 octobre 2024 en salle | 1h25min | Animation
De Gints Zilbalodis
|Par Gints Zilbalodis, Matīss Kaža
Titre original Flow

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