Colocs de choc, d’Elodie Lélu, 22 mai
Colocs de choc, réalisé par Elodie Lélu, jeune cinéaste bretonne installée en Belgique, a le charme et les défauts d’un premier long-métrage. La cohabitation forcée de trois générations sous le même toit avait de quoi faire rire mais l’évocation des ravages d’Alzheimer fait souvent osciller la comédie vers le drame. Ce récit familial intimiste – l’essentiel des scènes se déroule dans une maison de ville – réunit un quatuor de comédiens exceptionnels.
Hélène Vincent qu’on avait adorée dans la comédie La vie est un long fleuve tranquille retrouve un rôle de femme condamnée par la maladie après sa prestation dans Quelques heures de printemps face à Vincent Lindon qui jouait son fils. Dans Colocs de choc, elle est Yvonne, une juge féministe à la retraite obligée de renouer des liens avec son beau-fils – qu’elle a toujours détesté et méprisé – et sa petite fille Manon. Olivier Gourmet incarne un papa-poule rongé par la culpabilité qui a sacrifié sa vie professionnelle et sentimentale après le décès de sa compagne, Colette, la fille d’Yvonne. La jeune Fantine Harduin hérite du rôle le plus compliqué : au contact de sa grand-mère, femme libérée, cette ado complexée se mue en une jeune femme séductrice et revendicatrice qui, face à un papa décontenancé, affirme sa détermination à marcher dans les pas de son aïeule. Quant à Tom Audenaert, acteur belge abonné aux seconds rôles (Music Hole, Unité 42, Hasta la Vista…), il campe un voisin faire-valoir d’Yvonne qui l’accompagne dans toutes ses parties de jambes en l’air.
Colocs de choc brasse un nombre incroyable de thèmes : des difficultés des aidants familiaux au secret de famille sans oublier la sexualité des seniors et les oppositions entre féministes de la première génération et militantes d’aujourd’hui. Yvonne, en dépit de la maladie, fait l’éducation sexuelle et politique de Manon. Elle partage avec elle ses souvenirs de lutte – contre le patriarcat, pour la jouissance féminine – et se heurte parfois à l’incompréhension de la jeune fille. Oui, le soutien-gorge corsette le corps mais il peut aussi être un outil de séduction en augmentant artificiellement le volume des seins. Manon ne comprend donc pas pourquoi elle devrait, elle aussi, brûler ou jeter son soutif. A trop vouloir traiter de thèmes, le féminisme d’Yvonne devient simple ressort comique, peu ou mal exploité comme lors de cette discussion pseudo embarrassante en terrasse autour des mérites de la fellation. A quelques exceptions près – les slogans anti-police d’Yvonne à l’arrivée des pompiers ou la consultation juridique auprès d’autres malades d’Alzheimer – le spectateur sourit plus qu’il ne rit.
Contrainte par l’affection qu’elle porte à ses personnages et peut-être aussi par le souci de ne pas verser dans la caricature envers les malades d’Alzheimer, Elodie Ledu signe une comédie sensible et gentille, qu’on aurait aimé un poil plus féroce. Le travail de deuil et l’absence traumatique – Manon n’a pas connu sa mère – sont eux magnifiquement mis en images à travers le personnage de Manon. Cette jeune fille intello découvre un autre visage de sa maman, jeune femme fétarde et sensuelle. Après avoir voulu retrouver celle qu’elle n’a jamais connue en devenant une sorte de double borderline, elle sort du mimétisme pour effectuer une véritable mue et assumer sa propre personnalité.
C’est donc moins l’évolution du féminisme (et ses supposés enjeux intersectionnels aujourd’hui, really ? mettre fin au bashing sur Internet ?!) que la mémoire qui cimente ce joli film sur la transmission intergénérationnelle. Qu’hérite-t-on de ses ancêtres ? Que choisit-on de garder et de faire sien ? Comment faire des erreurs du passé une force ? Par ailleurs, Colocs de choc porte un regard à la fois lucide et bienveillant sur les aidants et le formidable travail qu’ils réalisent auprès des personnes dépendantes.
22 mai 2024 en salle | 1h37min | Comédie
Réalisé par Elodie Lélu
Avec Olivier Gourmet, Hélène Vincent, Fantine Harduin, Emilie Dequenne, Tom Audenaert…
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