Critique super méchante : Priscilla, de Sofia Coppola, 3 janvier
Ce biopic, inspiré de l’autobiographie (Elvis and Me, 1985) de Priscilla Presley qui est par ailleurs co-productrice du film, aurait pu avoir comme sous-titre « Histoire d’une cruche. » On connaissait le goût de Sofia Coppola pour les héroines rêveuses et passives, à peine sorties de l’adolescence. Avec Marie-Antoinette, elle avait montré qu’elle était capable de transformer une politicienne honnie en victime de l’Histoire et des hommes dans un coming of age à la fois mièvre et anachronique (tout au moins au niveau de la bande-son). Avec l’histoire de la femme d’Elvis, monstre sacré, la réalisatrice italo-américaine avait l’opportunité d’éclairer des pans entiers d’une existence méconnue : celle d’une gamine de 14 ans, fille et belle-fille de militaires, qui, séduite par le King, finit par l’épouser – le film montre que ce n’était pas gagné ! – puis s’émanciper de cette étrange et encombrante tutelle.
Le début du film, tout en nuances et lourds non-dits, est malgré la tonalité pastel de la magnifique photographie, particulièrement sordide. Avec la caméra de Sofia Coppola, la prédation semble douce et sans conséquences, mais le récit et les dialogues ne laissent aucun doute : la sexualité d’Elvis, plus d’une fois sur la sellette depuis les déclarations de Gerald Peters, son ex-chauffeur ou le recueil de lettres de Marlon Brando rassemblées par le controversé Gary Lindberg, n’était pas claire. Qu’Elvis aimât les jeunes filles vierges, il ne s’en cachait pas. Quand il rencontre Priscilla dans une ville de garnison allemande, la jeune fille n’a que 14 ans et lui, 24. Mais, le film – plutôt classique dans sa construction chronologique – met aussi en lumière l’importance de la Memphis Mafia, ce groupe d’hommes à tout faire, amis, confidents, compagnons de beuveries, gardes-du corps, chauffeurs… Et Elvis, qui refuse à maintes reprises de coucher avec Priscilla (qui n’en peut plus d’attendre !) apparaît comme un type ultra-bizarre, impotent ou peut-être refoulé, et non pas comme le croyant respectueux de la sanctité du mariage qu’il prétendait être.
Le problème du film de Coppola n’est pas qu’il égratigne le mythe, l’art est fait pour ça – n’en déplaise à la fille d’Elvis, Lisa Marie qui a détesté le film – ou qu’il épouse de manière consensuelle le récit autobiographique dont il est tiré. Sofia Coppola est assurément une grande cinéaste. La manière dont elle filme les regards ou traduit la violence qui s’immisce dans le quotidien doré et ultra-luxueux de Priscilla, témoigne de sa capacité à créer une histoire à partir de simples images, en apparence déconnectées. Mais, alors qu’on s’attendait à un récit de prise d’indépendance de la part de Priscilla, les 3/4 du film sont consacrés à sa transformation en Galatée par Elvis-Pygmalion.
Elvis contrôle sa coiffure, lui ordonne de se teindre en brune. Elvis choisit ses vêtements, lui interdit de porter des imprimés. Quand Elvis est en tournée ou sur des plateaux de cinéma, ce sont ses proches, restés à Graceland, qui empêchent Priscilla d’inviter des camarades de classe à la maison (la jeune fille est encore au lycée!), ou la disputent si elle joue avec le caniche offert par Elvis dans les jardins de l’immense domaine. Priscilla, toujours pas « épousée », encaisse les sautes d’humeur d’un Elvis déjà accro aux médocs et
Elle supporte d’être cloitrée à Graceland et elle esquive les coups ou les lancers de fauteuil du King. Admettons que tout cela se soit déroulé ainsi et que Sofia Coppola nous donne à voir la vérité de Priscilla. Soit, mais le jeu de l’actrice choisie pour incarner Priscilla, Cailee Spaeny, est si terne qu’on se demande comment elle a pu obtenir le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise.Le film s’arrête après la rupture du couple. Elvis est tellement drogué qu’il comprend à peine ce qui lui arrive. Quant à Priscilla, sa prise de conscience n’occupe que les 15 dernières minutes du film. Elle a retrouvé une couleur de cheveux plus naturelle, se permet des séjours, seule avec sa fille, à Los Angeles, et elle prend des cours de karaté avec un type dont le spectateur ne saura rien, alors que les fans auront reconnu du premier coup l’amant de Priscilla Beaulieu Presley : le karateka et cascadeur Mike Stone. Coppola préfère le clair-obscur et l’ellipse à l’explicitation. Pourquoi pas, d’autant plus que c’est justement ces choix narratifs et photographiques qui embellissent ce film sur une idole déchue, Elvis. Car oui, n’en déplaise à certains critiques, pour moi, Priscilla est surtout un film sur Elvis. Si l’actrice Cailee Spaeny est de tous les plans, la jeune femme n’est qu’un faire-valoir de son partenaire à l’écran, Jacob Elordi, trouble à souhait en figure méphistophélique au physique adolescent.
Le film, par petites touches, rend monstrueux un Elvis dont on connaissait déjà son addiction aux opiacés et aux barbiturques, et moins la violence ou les tendances pédophiles. Mais il l’humanise aussi, en montrant son dépit de ne voir s’offrir que des rôles dans de mauvaises comédies musicales, lui qui rêvait de l’Actor Studio. L’emprise qu’exerçait sur lui le colonel Parker est également suggérée à plusieurs reprises de même que sa tristesse insondable – sorte de deuil sans fin – depuis la mort de sa mère, seule femme qu’il ait jamais aimée (comme tous les pervers narcissiques soit dit en passant). Si Elvis reste donc dans l’ombre de son épouse, celle-ci ne semble exister que parce qu’elle est la femme de. Alors oui, Sofia Coppola signe un film qui honore le female gaze. La docile Priscilla, toujours assise dans un coin de pièce ou au bord d’un lit, ou bien alors debout, cachée derrière une multitude de fans ou de parasites, regarde son idole de mari et nous le fait voir à travers ses yeux. Ok mais quid de son intériorité à elle ?
Comment comprendre qu’elle est restée aussi longtemps avec Elvis ? L’appât du gain, le confort matériel, l’illusion de vivre un conte de fée, d’être véritablement amoureuse de cet homme désiré par toutes et tous ? Dans Virgin Suicides ou Lost in translation, d’autres jeunes femmes étaient prisonnières de cocons plus ou moins dorés. Mais dans chacun de ses précédents films, les héroines se rebellaient. Dans Priscilla, rien de tel. Dans l’une des scènes les plus mémorables, Elvis lui demande de quitter à jamais Graceland, alors qu’elle est pourtant enceinte, Priscilla, toujours soumise, lui répond dans un filet de voix : « Très bien, dis moi quand. » Après avoir partagé la vie d’un pervers, elle sait sur quels boutons appuyer pour garder auprès d’elle cet homme-enfant qui a une peur maladive de l’abandon. Priscilla ne décidera de vivre sa propre vie que lorsque son mari, complètement zombifié par la drogue et les médicaments, perdra tout charisme. Comme si elle ne pouvait briller que dans l’éclat d’une star. Finalement, pas très féministe tout ça.
Quant à Sofia Coppola, il serait peut-être temps qu’elle arrête de tourner le même film et qu’elle dépasse son syndrome de petite fille riche étouffée par l’aura d’un « grand » homme.
3 janvier 2024 en salle / 1h53min / Biopic, Drame
De Sofia Coppola
Avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Dagmara Dominczyk
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