Dream Scenario, de Kristoffer Borgli, 27 décembre 2023
Nicolas Cage est un grand acteur, capable de jouer dans tous les registres et d’endosser les rôles les plus risqués. On l’a connu comte Dracula dans l’ultra Z Renfield (Chris McKay, 2023), poussant la chansonnette italienne en jeune énamouré dans l’auto-parodique Eclair de Lune (Norman Jewison, 1987), face à Cher, et il nous a aussi bouleversés en ambulancier au bout du rouleau dans le drame social A tombeaux ouverts (Martin Scorsese, 1999). En dépit de ses apparitions dans de nombreux navets (un nombre incroyable de pseudo thrillers, films fantastiques et d’horreur) à partir des années 2000 (il lui faut bien manger et financer ses opérations de chirurgie esthétique !), Cage prouve, quand on lui offre un concept filmique intéressant qu’il est toujours au top.
Dream scenario, réalisé par Kristoffer Borgli (qui s’était fait connaître avec Sick of myself, autre comédie noire), c’est d’abord une excellente idée de scenario. Soit un professeur d’université passe-partout qui se retrouve propulsé sur la scène médiatique après ses apparitions dans les rêves des gens. Postulat fantastique qui ne sera – hélas – pas plus développé que ça, et bien entendu jamais élucidé. Ce point de départ étrange est prétexte à la création d’ambiances, au départ, plutôt amusantes, qui finissent par virer au cauchemardesque.
Comme avec Sick of myself qui racontait l’ascension médiatique d’une femme qui s’infligeait des sévices corporels pour attirer l’attention, le réalisateur dénonce les rouages pervers d’une société avide de sensationnalisme et de notoriété. Il fallait toute la justesse de jeu de Nicolas Cage pour nous donner envie de suivre l’itinéraire existentiel de cet homme d’une quarantaine d’année d’une extrême banalité. Le choix de ce type de personnage n’est d’ailleurs pas anodin. Paul Matthews est un être terne, qui n’a jamais rien tenté de sa vie et s’est contenté de gravir, sans faire de vagues, les échelons de sa carrière professionnelle. Plagié par une ancienne collaboratrice qui hérite de la reconnaissance des pairs et de la gloire qui aurait dû être sienne, c’est à peine s’il se révolte.
La peinture de la vie familiale de Paul Matthews est tout aussi ennuyeuse. Plus aucune passion au sein de son couple, à peine de la tendresse, les échanges avec son épouse relèvent presque exclusivement de l’intendance domestique. Pourtant, impossible de ne pas capter, pour le spectateur, des éléments discordants, sous cette carapace de morne tranquilité. Et c’est là qu’intervient le génie de Cage qui, au détour d’un froncement de sourcil, d’un regard de biais, d’un soupir, offre à voir toute l’étendue de son immense talent.
Paul Matthews n’est pas un personnage aimable. Il se révèle ennuyeux, frôlant le risible et le pathétique, comme face à cette assistante qui se serait damnée pour lui. C’est l’image du loser qui laisse échapper toutes les opportunités qui s’offrent à lui. Et malgré tout, le spectateur s’attache à lui et prend parti pour lui. Peut-être parce qu’au final, il est l’incarnation d’une certaine morale et surtout d’un désenchantement qui se pare d’un romantisme échevelé dans la séquence finale.
Abandonné par sa famille, vilipendé par les foules qui l’avaient au préalable encensé, acculé à la démission, dépossédé de son roman, cet homme qui a tout perdu se raccroche à un seul espoir : entrer dans les rêves de son ex-épouse, qui pourtant n’a jamais rêvé de lui. C’est d’une tristesse inouie et en même temps, c’est magnifique. On en oublierait presque un scenario qui promettait (dans la veine de Dans la peau de John Malkovitch ou Adaptation de Spike Jonze où Cage était déjà confronté à l’irruption de la fiction dans la réalité) mais qui malheureusement n’a abouti à rien, à part brocarder notre époque.
27 décembre 2023 en salle / 1h41min / Comédie, Fantastique
De Kristoffer Borgli
Avec Nicolas Cage, Julianne Nicholson, Michael Cera
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