Winter Break d’Alexander Payne, 13 décembre
Dès les premières images, le ton est donné. M. Hunham (Paul Giamatti) est un professeur à l’ancienne. Cela tombe bien, il enseigne les humanités, et plus précisément, le grec ancien, qui, dans les années 1970, était déjà moins populaire que le sport ou l’économie. Véritable esthète mais habillé d’un vieux pardessus élimé, il est peu estimé de ses élèves et de ses collègues qui le trouvent soit étrange soit trop sévère. Pourtant, il est lui-même un ancien élève du pensionnat où il enseigne, la Barton Academy, qui accueille essentiellement des enfants de familles très aisées tout en ouvrant ses portes à quelques enfants méritants de familles défavorisées. Très attaché à l’établissement qui lui a permis d’acquérir des savoirs et des manières d’être qui lui seraient restés inaccessibles s’il était demeuré auprès de sa famille, M. Hunham tente désespéramment de transmettre les valeurs qu’il croit bonnes et justes aux jeunes dont il a la charge. Mais, les temps ont changé et ses élèves, de par leur « mauvaise » éducation, ne voient qu’en lui qu’un larbin qu’il convient de mépriser.
Choc générationnel, lutte des classes, guerre du Vietnam, Humanistes contre Utilitaristes, le nouveau film d’Alexander Payne repose sur de nombreuses confrontations incarnées par les élèves et les enseignants fréquentant les salles de cours, dortoirs, couloirs, chapelles, gymnases et jardins de la Barton Academy. Mais, l’originalité de Winter Break dont le titre original est The Holdovers (ceux qui ont été laissés de côté) est d’avoir cristallisé tous ces thèmes à travers des présences fantomatiques : des individus déjà partis (décédés ou bannis) mais auxquels on ne peut échapper. Il y a d’abord le fils de Mary Lamb, la responsable des cuisines. Sa photo est partout : dans les bureaux, le réfectoire, à la messe de Noël. Mort au combat au Vietnam, il n’était que de la chair à canon malgré ses excellents résultats. Car si Barton Academy accueille en principe tout le monde, seuls les fils de nantis échappent à l’armée et sont réformés afin de rejoindre les bancs des plus prestigieuses universités de la côte Est.
Il y a ensuite le père d’Angus, un élève surdoué mais qui rencontre quelques problèmes avec l’autorité. Son paternel est-il décédé ? Pourquoi Angus chérit-il à ce point une photo d’enfance ? Et M. Hunham, pourquoi accepte-t-il avec autant de philosophie de pouponner, alors que ce n’était pas son tour, les rares étudiants qui ne rentreront pas chez eux pour les fêtes ? Pour Mary Lamb, cuisinière noire bien éprouvée par la vie, la réponse est simple. Barton Academy est le lieu où elle a partagé ses derniers moments avec son fils, donc mieux vaut y rester le temps des fêtes. Mais les autres, n’ont-ils personne qui les aime et les attende quelque part ? Alexander Payne se garde bien de répondre tout de suite à ces questions.
Le réalisateur nous avait habitués à des personnages qui prennent la route ou rêvent d’ailleurs. Le veuf de Monsieur Schmidt, interprété par Jack Nicholson, se rend à Denver depuis le Nebraska et entretient une correspondance avec un filleul africain. Dans Sideways, Paul Giamatti jouait déjà un professeur désabusé mais dans ce film, au lieu de faire du surplace comme dans Winter Break, il s’offrait une escapade avec son meilleur ami dans la vallée californienne des vins. Obliger ses personnages à rester grounded (mot qui signifie aussi « collé ») est un excellent moyen de montrer leurs limitations. Le premier tiers du film constitue en ce sens une immense scène d’exposition mais loin de plomber l’ambiance ou de ralentir le rythme, le lycée converti en prison pour les fêtes devient un lieu d’expérimentations, une bulle hors du temps et hors du règlement, où les tensions, génératrices de gags, peuvent enfin crever.
Avec le départ des quatre gosses de riches (un fils de missionnaires Mormons, un intello coréen, une brute sociopathe et inculte, un sportif habitué à se déplacer en jet privé), emportés dans l’hélicoptère d’un paternel nabab qui paiera les vacances à tout le monde, les masques peuvent enfin tomber. M. Hunham, Mary et Angus sont obligés de mieux faire connaissance et ces trois âmes esseulées vont bon gré, mal gré, se serrer les coudes et reprendre leur destin en main.
Très vite, le film prend la tangente, au sens littéral. Angus échappe plusieurs fois à la vigilance de son enseignant et explore le lycée devenu un domaine qui n’appartient plus qu’à lui. Puis, c’est une brève sortie au bar du coin. Et enfin, une invitation à une fête. Enfin, en dernier lieu, le départ pour Boston, là où devait se rendre Angus, avant que sa mère ne l’abandonne pour roucouler avec son nouveau Jules. Boston, ville de savoirs (Harvard y a été fondé) mais aussi de révolte puisque c’est dans cette cité ancienne qu’on situe la Boston Tea Party qui sonne le début du processus d’indépendance pour les États-Unis qui rejettent la tutelle de la couronne et du Parlement britanniques. Le choix de cette ville n’est pas anodin comme ne l’est pas non plus le patronyme de Mary (comme la Sainte Mère de Dieu), dont le Lamb (l’agneau, le fils) a été sacrifié sur l’autel de l’impérialisme. Le film est truffé de symboles et quand ceux-ci ne sont pas verbaux, c’est la caméra, par ses mouvements, qui signifie des vérités essentielles.
Malgré toute son érudition, M. Hunham restera un sous-fifre et sa carrière ne décollera jamais. Il n’est tout simplement pas bien né. Allégorie sur les profondes inégalités qui fondent la société nord-américaine (mais qui aujourd’hui caractérisent aussi l’Europe), Winter Break demeure malgré tout un formidable conte de Noël qui a l’issue de sa projection au Festival Lumière à Lyon a été couronné d’une ovation de plus de 5 minutes. Pas un truc mièvre ou dégoulinant de faux bons sentiments comme les productions Hallmark (destinées aux chaînes TV) ou Disney, non, davantage comme si Shakespeare avait voyagé dans le temps et écrit une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur (voir Macbeth), où des figures sacrificielles (le fils de Mary, M.Hunham) doivent exister pour assurer la survie du groupe et parfois, celle de rares individus prometteurs et méritants, comme Angus. Une histoire de père et de fils, de vraie transmission filiale, où l’on donne sa vie pour ses enfants.
Tendre, émouvant et profond, Winter Break est un récit d’apprivoisement bouleversant à la construction très habile. Oubliez Le cercle des poètes disparus, film finalement assez manipulateur et cliché. Par ailleurs, si Robin Williams était un excellent acteur, il ne faisait pas dans le même registre « more is less« , subtil, que Paul Giamatti, ici magistral. Le trio d’acteurs qu’il forme avec Da’vine Joy Randolph et le jeune Dominic Sessa mériterait à lui seul un prix d’interprétation partagé.
13 décembre 2023 en salle / 2h13min / Comédie, Drame
De Alexander Payne
Par David Hemingson
Avec Paul Giamatti, Dominic Sessa, Da’vine Joy Randolph
Titre original The Holdovers
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