Fremont, de Babak Jalali, 6 décembre
A Fremont, banlieue de San Francisco, Donya, jeune réfugiée afghane, qui a fui son pays après avoir été traductrice pour l’armée américaine, se voit confier la rédaction des messages contenus dans les fortune cookies fabriqués dans son usine. Son existence routinière prend alors une tournure étrange. Primé au dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville où il a remporté le Prix du Jury, Fremont est un film à la force tranquille. Ses interprètes, peu, voire pas du tout connus, certains non professionnels, sont habités par leurs personnages et jouent merveilleusement bien. Habillé d’un noir et blanc de toute beauté, le film prend le temps de déployer différents fils narratifs à partir des choix opérés par son héroïne principale.
Immanquablement, Fremont rappelle l’esthétique des films de
mais le réalisateur iranien Babak Jalali a su, au cours de son éclectique et riche filmographie (Radio Dreams, 2016 / Frontier Blues, 2009, Land, 2018) développer un style bien à lui. Au coeur de ses précédents films, la rencontre – improbable, souvent cocasse, parfois ratée – entre les cultures. Et dans la multiculturelle Fremont, Jalali a pu confronter plusieurs regards. Les premiers immigrés afghans se sont installés dans cette petite ville de l’ouest américain dès 1979 et l’invasion russe. Au début des années 2000, une nouvelle vague d’immigration afghane suit et ces jeunes afghans trouvent du travail dans les usines ou entreprises tenues majoritairement par des familles d’origine asiatique, s’étant installées à proximité de la Silicon Valley depuis les années 1950. Donya, personnage isolé mais à l’écoute, devient la caisse de résonnance de plusieurs solitudes. Les plans fixes privilégiés par le réalisateur rendent parfois l’actrice monolythique mais offrent aussi un magnifique cadre aux petites rencontres du quotidien qui viennent enchanter cet enchaînement de moments en apparence anodins.Au contact de son employeur chinois, Donya libère son esprit créatif. Une autre figure paternelle, le vieux restaurateur afghan, lui fait réaliser l’importance de s’ouvrir aux autres, en dépit des différences culturelles. La réserve de Donya, peu bavarde ou gentiment sarcastique, est habilement exploitée par la caméra : les interlocuteurs de la jeune femme projettent en elle leurs craintes, désirs et espoirs. Ce personnage féminin, à contrecourant de nombreuses
actuelles, n’est jamais objectifié mais, par son assurance et sa détermination, amène ses interlocuteurs à baisser la garde et à montrer leur véritable personnalité. Ainsi, le psychanalyste, interprété avec beaucoup de grâce et d’humour par Greg Turkington, vit un contre-transfert cathartique et finit par sangloter, lui, qui n’était qu’ultra-contrôle lors des premières sessions.Le film s’ouvre sur la fabrication des fortune cookies, une suite de gestes répétitifs, assez représentatifs du rythme du film ponctué de saynètes en apparence assez neutres en termes d’enjeux… Mais, assez vite, avec le décès de la rédactrice des messages, la machine s’enraye et la fantaisie prend le pas sur les habitudes… Si « la vertu réside au milieu » comme l’affirme le patron chinois, croire ne serait-ce que quelques instants aux prédictions des fortune cookies, c’est s’offrir la possibilité de changer le cours de son destin.
6 décembre 2023 en salle / 1h31min / Drame
De Babak Jalali
Par Carolina Cavalli, Babak Jalali
Avec Anaita Wali Zada, Jeremy Allen White, Gregg Turkington
FREMONT – Bande annonce from JHR Films on Vimeo.
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