Dumb Money, de Craig Gillespie, 29 novembre

Dumb Money est l’expression méprisante (dumb = stupide) qu’utilisent les barons de la finance pour désigner les petits boursicoteurs. C’est aussi le titre d’un film choral sorti cette semaine sur l’affaire financière et judiciaire Gamestop du nom d’une entreprise spécialisée dans la vente de jeux vidéos qui fit trembler Wall Street en pleine pandémie aux Etats-Unis. A l’époque, peu de médias français (à l’exception notable de France Inter) se firent l’écho de cette incroyable révolution menée par des gamers refusant de voir leur enseigne préférée coulée par des hedge-funds (fonds d’investissement). Le mérite du film de Craig Gillepsie qui rassemble aussi un casting 4 étoiles (Seth Rogen, Paul Dano, Shailene Woodley, America Ferrera…) est d’avoir rendu intelligible au néophyte les mécanismes tortueux de la vente à découvert.

Le film suit plusieurs personnages qui décident d’acheter des actions de Gamestop pour diverses raisons. L’infirmière interprétée par America Ferrera, endettée jusqu’au cou, est ravie de rejoindre une communauté qui fait trembler plusieurs grands groupes financiers. L’étudiante Harmony (Talia Ryder) veut venger son père qui avait été licencié puis avait perdu tous ses droits à la retraite à cause du rachat de sa boîte par un hedge-fund. Quant à l’analyste financier et youtuber Keith Gill connu sur les réseaux sociaux sous l’alias Roaring Kitty, c’est la revanche d’un nerd – doué en affaires – qui, en raison de ses origines prolétariennes, a été snobé par plusieurs recruteurs à sa sortie de fac, et qui, en pleine pandémie, aimerait bien, si possible, gagner un peu d’argent tout en éduquant les masses.

Présenté comme une énième version du combat de David contre Goliath, Dumb Money pêche par plusieurs aspects. Pour comprendre les multiples rebondissements de l’affaire et aussi la personnalité des nombreux gamers impliqués, il fallait retranscrire la manière dont les petits acheteurs communiquaient sur les réseaux sociaux : le film est donc saturé d’incrustation de captures d’écrans – de sms, d’échanges envenimés et de memes sur des forums tels que Reddit, d’opérations boursières en ligne sur des plateformes telles que Robinhood – et cette déferlante d’images en provenance des réseaux sociaux donne parfois la nausée.

Ajoutons à cela des dialogues d’une pauvreté assez affligeante – un fuck et une blague vulgaire toutes les 2 minutes – et le portrait de cette communauté de Robins des Bois apparaît finalement assez terne, à l’opposé de la flamboyance et de l’intelligence qu’on aurait été en droit d’attendre d’une figure telle que Keith Gill qui a tout de même réussi à sortir indemne d’une enquête du Congrès et qui a surtout fait perdre 3,75 milliards de dollars à Melvin Capital.

On pourra regretter aussi que l’affection des nombreux gamers pour l’enseigne passe complètement au second plan. Seul le personnage de vendeur interprété par Anthony Ramos montre pourquoi de nombreux nerds se sont lancés en bourse quand ils ont appris que Gamestop risquait de disaparaître. Les hedge-funds avaient parié sur la mort de l’enseigne dont l’action ne valait que 15 dollars car l’entreprise n’avait pas su se moderniser et prendre en route le train du numérique. Sauf que de nombreux hard-core gamers ne voulaient pas de ces supposées avancées techniques et préféraient continuer à acheter leurs jeux dans un bon vieux magasin et pas les télécharger en ligne. Les rares scènes filmées dans le Gamestop shop sont donc essentielles pour qui souhaite comprendre cet engouement massif et inattendu pour les actions gamestop.

Ce qui s’est joué en 2021 aux Etats-Unis n’est pas uniquement une tentative désespérée de classes moyennes ou populaires de s’enrichir en misant sur la bourse à court terme. C’est aussi une déclaration d’amour de consommateurs pour un modèle d’achat à l’ancienne : en présentiel, et pas en ligne, dans un lieu qui crée du lien, entre générations, vendeurs et acheteurs, et fait partie du paysage économique et industriel des villes. En ce sens, Dumb Money se révèle particulièrement émouvant, et intéressant, en cette période de fêtes où, faute de temps et d’énergie, de nombreuses personnes préfèreront passer par le géant Amazon, puis raleront plusieurs mois plus tard quand leur librairie, magasin de chaussures, ou boutique de maroquinerie fermera définitivement.

A travers le personnage joué par Seth Rogen, le film nuance aussi son propos et montre que la haute finance est également un exercice périlleux pour les entrepreneurs qui aimeraient rester fidèles à un idéal paternaliste et protecteur, désormais complètement dépassé. Rogen (toujours parfait !) interprète Gabe Plotkin, fondateur de Melvin Capital Management, boîte nommée ainsi en l’honneur de son grand-père juif et qui coula suite à la débâcle avec Gamestop. Plotkin n’est pas tout blanc (il souhaitait s’enrichir sur le dos de Gamestop) mais quand il est victime de requins aux dents plus acérés que lui, le spectateur comprend que ses tentatives d’honorer la mémoire de son grand-père en respectant ses principes (« never borrow ») étaient de toute façon vouées à l’échec.

Certains critiques ont regretté la morale finale du « Tous pourris » mais le film en se faisant le miroir de nombreuses dérives sociales et économiques prises par les Etats-Unis depuis plus de 30 ans offre un formidable reflet de ce que pourrait devenir la France, dans pas si longtemps que ça…

29 novembre 2023 en salle / 1h45min / Drame, Comédie
De Craig Gillespie
Par Lauren Schuker Blum, Rebecca Angelo
Avec Paul Dano, Seth Rogen, Pete Davidson, Vincent D’Onofrio, America Ferrera

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