Mars Express, de Jérémie Périn, 22 novembre 2023

Mars Express, présenté aux festivals de Cannes et d’Annecy, est un film d’animation basé sur les lois de la robotique extraites du cycle des robots d’Isaac Asimov. Dans un futur pas si lointain que cela, les humains ont colonisé l’espace et vivent désormais sur Mars, assistés de nombreux robots et d’intelligences artificielles. Si la capitale de la planète rouge, Noctis, semble, de prime abord, une ville dévolue aux plaisirs et à l’hédonisme, les problèmes sociaux qui empoisonnaient l’existence des terriens et ont poussé les plus riches à l’exil, ont également été importés. Ainsi, Aline Ruby, détective privée et son coéquipier androïde Carlos Rivera doivent dêmeler le vrai du faux à propos d’un robot devenu incontrolable dans une sordide enquête où se mêlent prostitution, hacking, drogues et complot militaro-industriel.

La peinture des bas-fonds de la ville futuriste se double d’un pamphlet social contruit notamment autour d’une figure élusive : Jun Chow, une étudiante disparue, suspectée d’oeuvrer pour l’émancipation des robots et leur libération du joug des humains. Pendant la première moitié du film, Aline et Carlos vont courir après la jeune femme, un peu à la manière de Rick Deckard, l’ex-flic qui reprenait du service, dans Blade Runner (Ridley Scott, 1982), afin de traquer des réplicants. Tout comme son illustre prédecesseur, Mars Express s’empare du même postulat – lui-même tiré de  Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de l’auteur Philip K. Dick – à savoir : et si les robots ou les intelligences artificielles développaient une pensée et des émotions propres ?

Ce film d’action truffé de courses poursuites haletantes se révèle particulièrement poignant dans sa manière de traiter le spleen existenciel de Carlos (immense Daniel Njo Lobé), robot de la famille des « sauvegardés« . Mort lors d’une insurrection de robots, sa conscience, ses souvenirs et ses émotions ont été « uploadés » dans un androïde ultra-perfectionné, lui permettant ainsi de retourner parmi les siens. Las, son épouse n’a pu s’adapter à cette nouvelle forme d’être, et le divorce fut prononcé. Le film se révèle finalement assez critique dans sa manière de déconstruire les prétendues chances offertes par la robotisation et surtout l’intelligence artificielle. De son vivant, Carlos était un être violent, prompt à lever la main sur son épouse. En vertu des lois de la robotique, devenu un androïde, il ne peut plus violenter sa famille et il est devenu le meilleur « serviteur » des humains. Mais, ironie du sort, les êtres qu’il aime le plus sont incapables d’apprécier cette évolution. Si le racisme contre les robots irradie toute l’intrigue du film, le réalisateur semble surtout avoir à coeur de dénoncer le dévoiement du progrès technique par le capitalisme.

Les petits génies de la fac se « dupliquent » (créent des doubles d’eux-mêmes robotisés) afin de gagner suffisamment d’argent pour financer leurs études. Quand l’humain se trouve dans l’amphithéâtre, son double robotique s’échine à l’usine ou dans des bars louches. L’intelligence se monnaie dans des fermes à cerveaux qui épuisent leurs cobayes, pressés comme des citrons. Malgré les néons et les luxueuses piscines, la vie sur la planète rouge tient finalement du cauchemar où toutes les ressources – naturelles, humaines, robotiques – sont exploitées jusqu’à ce que mort s’ensuive. En contrepoint de ce sombre constat, le film est constellé de dialogues percutants, avec des punchlines, essentiellement assénées par le personnage d’Aline (Léa Drucker, excellente), détective privée désabusée, qui tente de tirer son épingle du jeu en étant plus maline que les pourris. Hélas, comme dans tout film noir, la chute, sera, pour tous, très rude.

Nourri de multiples références – cinématographiques et littéraires – Mars Express a su développer un univers désenchanté et hypnotique bien à lui. Par sa vituosité et son inventivité, il se démarque d’autres films avec la même thématique. C’est une véritable réussite et surtout, le film de SF français qu’on attendait depuis longtemps.

22 novembre 2023 en salle / 1h25min / Animation, Science Fiction, Action
De Jérémie Périn
Par Jérémie Périn, Laurent Sarfati
Avec Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé

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