Showing Up, de Kelly Reichardt, Cannes 2022, en DVD depuis le 5 septembre 2023, Diaphana
Sélectionné dans le cadre de la compétition officielle au festival de Cannes en 2022 et sorti en salles en mai 2023, Showing Up est désormais disponible en DVD. Beaucoup de choses ont été écrites sur le dernier film de Kelly Reichardt qui a déçu de nombreux critiques : « film mineur » dans la carrière de la réalisatrice, « auto caricature » et j’en passe. Pourtant, si l’amoureuse de l’Oregon (la plupart de ses films ont été tournés dans cet état) délaisse les grands espaces pour capter le quotidien des étudiants d’une école d’art, elle montre, avec ce film, qu’elle reste attachée aux valeurs esthétiques et environnementales qui ont façonné sa filmographie.

Michelle Williams (au naturel, non maquillée et sans son blond platine hollywoodien !) et Hong Chau dans Showing up!
Dans Showing Up, le récit, les regards, les mouvements… tous convergent vers un moment clef : le vernissage de l’exposition de Lizzy, sculptrice avare de mots. Ce personnage est interprété par Michelle Williams, dépareillée de tous ses atours de star hollywoodienne. Habituée aux films d’auteur minimalistes d’une réalisatrice qui l’avait déjà dirigée dans Wendy et Lucy et Certain Women, Williams donne vie et corps à un personnage féminin, en apparence rogue, mais dont la profondeur et la bonté sont révélées peu à peu, tout au long du film.
Showing up, n’en déplaise à certain.es, n’est pas une satire des écoles d’art. A aucun moment, je n’ai vu ou ressenti la moindre ironie dans le regard de la réalisatrice. Lorsqu’elle filme des étudiants, occupés à s’agiter en tous sens, sur une pelouse lors d’un atelier d’expression corporelle, le propos n’est point moqueur. Ces petits riens, ces concepts et expériences que des spectateurs pourraient trouver sans queue ni tête, complètement coupés de la réalité, voire même en désaccord avec les savoirs académiques, sont formateurs. C’est en faisant, expérimentant, en répétant inlassablement les mêmes gestes que l’on créée. En ce sens, les artistes (ou personnages artistes) filmés par Kelly Reichard (qui a intégré au film de véritables œuvres d’art prêtées pour l’occasion) sont plus artisans qu’intellectuels. La matière, qu’il s’agisse de fils, de métal, de glaise, de papier, est sans cesse travaillée, transformée, modelée…
Kelly Reichard a installé sa caméra dans les salles, jardins et couloirs de ce qui autrefois était l’Oregon College of Art and Craft (un établissement d’enseignement supérieur fermé depuis 2019). Elle a aussi puisé dans ses propres souvenirs de Professeur invité au Bard College (situé sur la côte est). Elle s’est aussi inspirée du travail des artistes Michelle Segre et Jessica Jackson Hutchins qu’elle avait filmées pour le Centre Georges Pompidou. En découle donc un film à mi-chemin entre la fiction et le documentaire qui exprime un profond amour aux créateurs en tout genre.
Qu’on ne s’y méprenne, si seuls des micro-événements, voire des choses anodines, d’une banalité intolérable (pour certain.es), semblent se dérouler sous nos yeux, le cadre avec ses magnifiques travellings (de skaters, de pneu qui dévale la rue), le rythme, la tension dramatique, tout est impeccablement pensé et mis en images. Le pigeon blessé est à la fois fil conducteur et relais. Il se meut en objet de désir pour les deux femmes qui tour à tour veulent le soigner, lui offrir un cadre de vie réparateur. Quant aux apparitions des autres membres de la famille de Lizzie (le frère adoubé génie mais paranoïaque, la mère directrice de l’école, le père artiste renommé au mode de vie hippie), elles obligent Lizzie à sortir de sa zone de confort (sa bulle créatrice) et d’une certaine manière à accepter et à intégrer à son art, tout ce qu’elle ne peut contrôler. A l’origine, Kelly Reichardt souhaitait réaliser un film à propos d’Emily Carr, peintre canadienne qui fut obligée de louer des chambres de sa maison pour gagner sa vie et se retrouva confrontée à des locataires qui l’empêchaient de se consacrer à son art… Le parallèle avec le personnage de Jo est à ce point de vue saisissant.

Judd Hirsch avait déjà tourné avec Michelle Williams dans The Fabelmans de Steven Spielberg, film dans lequel il était formidable. Dans Showing Up, il est tout aussi excellent !
Autant Lizzy est renfermée, autant sa logeuse et camarade de classe, Jo, est extravertie, rayonnante de joie et d’enthousiasme. Les deux femmes sont d’une certaine manière les deux côtés d’une même pièce. Leur duo – improbable au départ – montre les deux dimensions du travail d’artiste : l’introspection (symbolisée par Lizzie) puis le don (représenté par Jo). Loin de la gloriole des célébrités du moment (influençeurs, youtubers, tiktokers, voire pseudo-écrivains ou chanteurs propulsés du jour au lendemain sous les feux médiatiques), les personnages de Showing up prouvent que l’on ne naît pas artiste, on le devient. A force de réflexion personnelle, de travail, de patience, et bien souvent dans l’anonymat d’un lieu calme, propice à la création…
3 mai 2023 en salle / 1h48min / Drame, Comédie
De Kelly Reichardt
Par Kelly Reichardt, Jonathan Raymond
Avec Michelle Williams, Hong Chau, André Benjamin…
Commentaires récents