Le livre des solutions, Michel Gondry, 13 septembre
Les premières minutes du nouveau film de Michel Gondry pourraient laisser penser à un classique David contre Goliath. Soit Marc Becker, réalisateur loufoque face à des producteurs menaçant de retirer leurs fonds. D’un côté, le génie créatif, de l’autre, la pure logique comptable. Film dans le film, Le livre des solutions est l’histoire d’un montage, d’un récit en train de se raconter et au passage, de bifurquer, de se raccorder à d’autres tranches de vie, et d’évoluer au gré des rencontres du réalisateur qui s’est enfui dans les Cévennes. Le double du réalisateur à l’écran est interprété par Pierre Niney, virevoltant en tous sens, débordant d’énergie créatrice et aussi parfois destructrice.
Le livre des solutions ne s’enlise pas dans ce récit méta, cette opposition quelque peu schématique. A l’instar des précédents films de Michel Gondry – je songe notamment à Be Kind Rewind (Soyez sympas, rembobinez) – il est prétexte à une échappée belle qui entraîne le spectateur là où il ne pensait pas arriver. Portrait intimiste d’un montage conçu tant bien que mal dans une maison de campagne qui fleure bon les souvenirs d’enfance, Le livre des solutions est le cri du cœur d’un personnage qui ne veut pas grandir, qui refuse de se confronter à ceux qu’il appelle le gang des « cravatés ». Les producteurs bien sûr mais surtout, tous ceux qui essaient de limiter l’humain en général, sous prétexte d’en appeler au principe de réalité. Mais, justement, de quelle réalité parle-t-on ? Des goûts des spectateurs façonnés par les media qui offrent du temps de cerveau disponible, par les marques, les grands groupes qui standardisent les produits culturels en consommables uniformisés à l’échelle du globe ? Marc défend sa vision et tant pis si personne ne le comprend.
Le film est une suite de défis. Un peu comme ceux qu’on se lance quand on est petit. T’es pas cap de grimper à l’arbre ! T’es pas cap de sauter de l’arbre ! Et Michel Gondry de nous offrir justement une scène mémorable d’élagage avec Marc en équilibriste pas du tout outillé pour la tâche technique qu’il s’apprête à accomplir. Bien sûr, en grandissant, nous apprenons à ne pas prendre nos rêves pour des réalités. Mais quid des talentueux ? ou tout au moins de ceux qui croient encore en leur talent, même s’ils sont seuls au monde à penser qu’ils ont du génie ? La verve de Pierre Niney sied à merveille au narcissisme de son héros souvent égocentré, en tout cas, très malhabile en ce qui concerne les relations humaines. Le livre des solutions, titre du film mais aussi ancien cahier d’écolier, déniché au fond d’un tiroir car projet abandonné, est aussi la tentative maladroite d’un homme – Marc, Gondry ?- de se relier au monde qui l’entoure.
Assez vite, les dialogues suggèrent que Marc va mal. Serait-il autiste ou bien bipolaire, voire carrément paranoïaque ? Au fond, on s’en fout. Marc s’emporte peut-être avec ses collaboratrices mais sa vision est juste. L’enjeu du film n’est pas de savoir s’il finira son film mais comment il le finira. Et, fidèle à son amour des personnages en marge, Michel Gondry transforme son héros looser en super-héros. Non seulement, Marc parvient à réaliser son film mais il persuade ses collaborateurs de la pertinence de ses choix. Qu’importe s’il n’a pas de partition pour la bande-son, il réussit à s’improviser chef d’orchestre. Son enthousiasme est si communicatif qu’il entraîne une star mondiale, Sting, à bord de son bateau ivre !
Michel Gondry divise. Un temps consacré petit génie de la caméra, ses derniers films ont reçu un accueil parfois mitigé. Il faut, me semble-t-il, accorder plus d’importance à l’image finale qui montre un terrier en guise de fauteuil de cinéma. C’est dans la maison de ses étés enchantés que le réalisateur se réfugie après les menaces professées par ses producteurs, c’est auprès de Denise, sa tante bien-aimée (Françoise Lebrun, épatante!) celle qui l’a toujours soutenu inconditionnellement qu’il vient se ressourcer. C’est entouré de ses collaborateurs les plus fidèles qu’il décide de tout mettre en œuvre pour avoir le final cut, pour rester maître de son histoire. Le livre des solutions, plus profond qu’il n’y paraît, n’est donc pas qu’une ode au bidouillage artistique, malgré les inserts d’animation avec le renard qui ouvrait un salon de coiffure, les extraits vidéos des recettes saisonnières de Denise, ou cette intrigue parallèle qui voit Marc devenir maire du village. C’est un film qui ose nous rappeler l’importance du cocon (ou terrier) qui permettent, un temps, de s’extraire du monde pour mieux le comprendre et finalement l’habiter. Dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, c’était le couple qui faisait office de bulle protectrice, dans Soyez sympas, rembobinez, c’était la bande d’amis et voisins qui fréquentaient le même video club, et ici, c’est une vieille maison pleine de souvenirs au cœur des collines.
13 septembre 2023 en salle / 1h 42min / Comédie dramatique, Drame, Comédie
De Michel Gondry
Par Michel Gondry
Avec Pierre Niney, Blanche Gardin, Frankie Wallach, Françoise Lebrun, Vincent Elbaz, Camille Rutherford…
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