Poker Face, de Rian Johnson, avec Natasha Lyonne, Peacock
Non, Poker Face ne met pas en scène Lady Gaga, compositrice d’un tube éponyme. C’est une série TV super originale et intelligente créée par Rian Johnson avec Natasha Lyonne dans le rôle principal, accompagnée de guest stars – Adrien Brody, Chloë Sevigny, Ellen Barkin, Joseph Gordon-Levitt, Nick Nolte pour ne citer qu’eux – qui se surpassent dans chaque épisode ! Natasha Lyonne campe Charlie, une femme d’une quarantaine d’année, affublée d’un drôle de don qui lui complique la vie : elle est capable, rien qu’en observant le visage de son interlocuteur, de déceler s’il/elle ment ou non. A l’origine, elle a utilisé cette capacité exceptionnelle pour s’offrir un petit pactole en jouant dans les casinos de seconde zone – histoire de ne pas trop attirer l’attention sur elle – du pays. Ça, c’est sa back-story qui nous est révélée lors d’un premier épisode se déroulant justement dans une petite ville de l’ouest américain qui ressemble fortement à Las Vegas. Contrainte d’abandonner son passé nomade par un géant du jeu qui lui a justement offert un emploi à vie – pour mieux la contrôler – dans l’un de ses casinos, Charlie va devoir reprendre la route après avoir élucidé le meurtre de sa meilleure amie dans lequel trempait le fils à papa – excellemment interprété par Adrien Brody.
Poker Face se distingue par son mélange des genres, très réussi. A la fois série policière et peinture on the road des États-Unis, chaque épisode voit Charlie, en cavale, résoudre des meurtres lors de ses étapes. Un peu Code Quantum sur les bords, Charlie se révèle une justicière qui n’a de cesse de rétablir la vérité et envoyer les « méchants » derrière les barreaux. Mais à la différence de Samuel Beckett (le héros de Quantum Leap), elle n’est jamais en mesure d’empêcher ses amis de trépasser. Et c’est là que Poker Face surprend : sa construction narrative est à rebours de ce que l’on voit habituellement dans une série policière.
Les 10-15 premières minutes de chaque épisode se déroulent avec Natasha Lyonne en hors champ et constituent d’une certaine manière une mini-histoire dans le récit principal. Cette manière de tourner permet aux spectateurs de comprendre en profondeur les personnages secondaires, ceux que l’on ne reverra plus lors des prochaines étapes/épisodes, mais qui ici sont au cœur du drame qui se noue. Un restaurateur spécialisé dans le barbecue qui voit la poule aux œufs d’or se tarir quand son frère, cuistot, déclare devenir vegan après avoir vu le film Okja. Un groupe de métal has-been à la recherche d’un nouveau tube afin de renouer avec le succès. Ou un jeune mécanicien éconduit qui convoite un billet de loterie gagnant.
A part dans le premier épisode avec Adrien Brody et sa suite de mafieux, on tue pour – presque – rien dans Poker Face. Et en ce sens, on a parfois l’impression que Charlie – avec ses insinuations balancées avec le sourire, ses questions en apparence débiles – est une sorte de Columbo matinée de Maigret. Nous ne sommes pas chez les petits bourgeois de province mais dans les demeures, bars et magasins des habitants du sud des USA. La différence s’arrête là, car la manière de procéder est similaire. Succession d’enquêtes psychologiques, Poker Face réalise un sans faute. La direction d’acteurs et d’actrices est remarquable. La photographie ultra léchée. Si le meurtre, et les raisons au crime ainsi que l’identité du ou des assassins, nous sont montrés dans les 15 premières minutes, on ne s’ennuie aucunement pendant le reste de l’épisode, consacré à l’élucidation, d’une main de maître, par Charlie. A chaque épisode, un nouveau job dans un nouvel état, et contrairement à Nomadland (multi-oscarisé en 2021), Poker Face n’offre pas de vision romantique du nomadisme professionnel. Charlie, sans adresse fixe, accepte des jobs à droite à gauche pour échapper aux hommes de main de Sterling Senior (Ron Pearlman) et au cours de sa cavale, elle rencontre d’autres personnes aux destins aussi – voire plus – cabossés que le sien.
Si Charlie met souvent sa vie en danger, alors qu’elle ferait mieux de se montrer discrète, ce n’est pas uniquement pour le plaisir de résoudre des énigmes. D’habitude, flics et enquêteurs de séries TV ne connaissent pas les victimes qu’ils découvrent sur la scène du crime. Poker Face nous montre, avant le bras de fer final avec le ou les criminels, les liens amicaux tissés par Charlie avec le ou la victime. La série se révèle très attachante dans sa manière de filmer des personnages en marge au cœur gros comme ça : un jeune batteur fan de métal philosophe, un cuistot devenu as du barbecue parce qu’il connaît les arômes et les senteurs de chaque écorce.
Les univers développés dans chaque épisode bénéficient d’un traitement quasi cinématographique (hormis le format de 45 minutes) tant la réalisation est excellente. Travellings, plans et cadrages très travaillés, un soin tout particulier a été apporté à la mise en images. Ajoutez d’excellents scenarii et dialogues, sans oublier un casting de stars au mieux de leur forme. Poker Face, une belle surprise !
Créée par Rian Johnson
Avec Natasha Lyonne, Adrien Brody, Benjamin Bratt, Ron Perlman, Ellen Barkin…
Nationalité : U.S.A.
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