Film Culte (12) : O’Brother, Frères Cohen, actuellement via Arte
O’Brother, Where Art Thou, réalisé par Joel Cohen, avec l’aide de son frère Ethan au scenario, a déjà 23 ans. Sorti en 2000, il est actuellement diffusé sur Arte via ses différentes plateformes. C’est un film culte à plus d’un titre. Par sa bande-son qui rassemble plusieurs titres mythiques de blues, de country et de bluegrass joués par des artistes tels que The Cox Family, The Whites, The Fairfield Four et Chris Thomas King dans leurs propres rôles ou des doubles d’eux-mêmes…
Culte aussi à cause de la ribambelle de stars dans des seconds rôles, très bien écrits et interprétés. Mais les séquences d’anthologie avec Michael Badalucco dans la peau de George « Baby Face » Nelson ou celle de John Goodman comme arnaqueur vendeur de bibles n’auraient pas suffi à faire d’O’Brother un excellent film. A partir d’un pari scénaristique très risqué – calquer la cavale de trois bagnards sur l’Odyssée d’Homère – les frères Cohen réussissent à tisser une épopée qui décrit à la fois les états du sud des USA pendant la Dépression et la société nord-américaine contemporaine.
Dans O’Brother, personne n’est ce qu’il paraît. Le vieil homme noir qui se déplace sur sa draisienne n’est pas un aveugle ordinaire mais Tiresias, le devin qui voit la destinée des trois anciens détenus. La hargne du sheriff paraît plus compréhensible quand le spectateur fait le rapprochement avec Poséidon. Et si nos souvenirs de l’Odysée antique sont parcellaires ou nécessitent un rafraîchissement, les frères Cohen ont parsemé leur film de multiples indices, à commencer par un personnage borgne qui n’est pas sans rappeler un Cyclope.
Jeu de piste – à prendre au figuré comme au sens propre car les trois larrons sont à la recherche d’un trésor – le film établit une complicité immédiate avec le spectateur qui est censé savoir à l’avance quels obstacles ou antagonistes attendent Ulysses Everett McGill (interprété par un George Clooney burlesque à souhait), Pete (John Turturro) et Delmar (Tim Blake Nelson) au détour des routes du Mississippi.
Sauf que le scenario déjoue chacune de nos attentes. A la fin du voyage, on s’aperçoit que contrairement à Pénélope, l’épouse nord-américaine du Ulysse d’O’ Brother ne l’a pas sagement attendu; plutôt vénale (on se rappellera du dialogue à propos d’une certaine bague), elle est prête à convoler avec n’importe quel substitut pourvu qu’il ait une bonne situation. Profondément enraciné dans l’histoire des représentations du Deep South, le film convoque une tripotée de hérauts de l’Amérique blanche suprémaciste et quand on croit nos trois héros sauvés, le Ku Klux Klan n’est pas loin.
A la fois géographiquement et historiquement situé, le film s’offre néanmoins le luxe de télescoper mythologies, héros et bandits de plusieurs époques afin de livrer un récit drôlatique et émouvant qui touche à l’universel. Comment ne pas voir dans la guerre médiatique que se livrent les deux candidats à l’élection de gouverneur les mêmes mesquineries, hypocrisies et arnaques qui ont entaché les campagnes présidentielles de Nixon, Reagan, Kennedy, Trump…? Démocrates et Républicains sont renvoyés dos à dos et l’on appréciera le fabuleux jeu de comédien de Charles Durning qui interprète Menelaus « Pappy » O’Daniel, gouverneur du Mississippi et candidat à sa propre réélection. Ce personnage de politicien véreux et populiste est calqué sur le démocrate W. Lee « Pappy » O’Daniel, qui fut le 34e gouverneur du Texas de 1939 à 1941. Il convainquit ses électeurs avec un savoureux mélange d’exhortations bibliques et de programmes radiophoniques divertissants.
Mais les liens très forts entre politique et spectacle aux USA (n’oublions pas que Trump fit des apparitions dans plusieurs séries TV telles que Sex and the City ou Le Prince de Bel Air et que Reagan fut acteur avant d’être élu président) n’est qu’une des nombreuses thématiques explorées par le film qui touche juste à chaque fois.
Gentiment décalé avec des personnages comme Ulysse, souvent opportuniste, plus occupé à trouver de la gomina pour ses cheveux qu’à sauver la peau de ses amis, ou le guitariste Tommy Johnson qui prétend avoir vendu son âme au diable en échange de la musique (légende attribuée à Robert Johnson), O’Brother fait voler en éclat la figure du super-héros qui combat au nom des idéaux impérialistes nord-américains. Aux muscles saillants des guerriers Marvel issus d’une vision du monde dichotomique, le film préfère l’ingéniosité, l’humour, l’amitié et parfois même une bonne dose de roublardise. Qualités nécessaires pour arriver à bon port en dépit de l’iniquité et de la violence des puissants.
30 août 2000 en salle / 1h46min / Comédie, Policier
De Joel Coen, Ethan Coen
Par Ethan Coen, Joel Coen
Avec George Clooney, John Turturro, Tim Blake Nelson, Chris Thomas King, Charles Durning, Holly Hunter…
Titre original : O Brother, Where Art Thou?
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