Asteroid City, Wes Anderson, 21 juin
« Keep telling it » : continuer à la raconter – la vie, l’histoire – même si parfois, plus rien ne fait sens. Après The French Dispatch, Wes Anderson signe un nouveau film gigogne au cadrage et à la photographie sublimes pour conter – via ses acteurs fétiches : Adrien Brody, Jason Schwartzman, Willem Dafoe – son obsession du récit. Certains critiques reprochent au réalisateur ce que d’autres admirent chez lui : son maniérisme, ses compositions à la fois élégantes et fourmillantes de détails, ses multiples références aux grands classiques de la littérature (Stefan Zweig pour The Grand Budapest Hotel) et du cinéma d’auteur.
Mais l’objectif, chez Anderson, est à chaque fois de raconter une histoire – originale de préférence – avec un sens consumé du story-telling, ce qui hélas fait le plus souvent défaut à un certain cinéma européen. Que le spectateur se retrouve catapulté sur une île peuplée de chiens (Isle of Dogs, 2018), dans un sous-marin, aux côté d’un double parodique du commandant Cousteau (The Life Aquatic with Steve Zissou, 2004) ou dans un hôtel de luxe européen (The Grand Budapest Hotel, 2014), il y a quasi toujours, comme au théâtre classique, une unité de lieu.
La construction de ces films avec un découpage en scénettes – voire carrément en actes et scènes comme dans Asteroid City – reflète aussi un penchant pour la scène avec des narrateurs qui brisent le quatrième mur, des split screens qui montrent ce qui cache hors-champ, des décors de carton pâte – qui tombent, disparaissent…
L’unité de lieu permet aussi de saisir des microcosmes et d’une certaine manière d’emprisonner ses personnages qui deviennent les marionnettes du réalisateur. Cette manière de concevoir le cinéma et de diriger acteurs et actrices a parfois aussi suscité les critiques envers Anderson. Mais chez Anderson, les héros sont toujours au service d’une histoire, et celle-ci, qu’elle se déroule en Inde (The Darjeeling Limited, 2007) ou comme ici, quelque part, dans les immensité désertiques de l’Arizona et du Nevada, est toujours prétexte à porter un regard humaniste et bienveillant sur notre pauvre condition humaine.
« You can’t wake up if you don’t sleep » Cette phrase répétée en chœur par les personnages interprétant les acteurs de la pièce Asteroid City – on vous avait prévenu à propos des récits enchâssés ! – résume à elle seule l’œuvre de Wes Anderson : aux confins du nonsense, de l’absurde, peuplée d’êtres qu’on croirait sortis de rêves sans queue ni tête, mais qui au final forme un tout cohérent.
Hommage au cinéma, le film est truffé de clins d’œils et d’astucieuses mises en abyme. Scarlett Johansson – parfaite ! – interprète une actrice abonnée aux rôles de femmes fatales et elle se paie le luxe de simuler sa propre mort dans une scène de répétition qui n’est pas sans rappeler la disparition de Marilyn Monroe. Quant à Willem Dafoe, comment ne pas voir en lui, une émule des grands profs de l’Actor Studio, voire du présentateur fétiche, James Lipton, de la vénérable et culte émission Inside the Actors Studio.
Peut-être que Wes Anderson est devenu trop intelligent pour le spectateur moyen qui ne saisira pas la moitié des références. Des champignons atomiques (Las Vegas était, dans les années 1950, un haut lieu du tourisme atomique !) aux cover-up de l’armée américaine (comment ne pas songer à l’affaire Roswell) sans oublier le gigantesque cratère (Meteor Crater existe vraiment près de Flagstaff et la route 66 ! ) et les cowboys chantants – accompagnés de Seu Jorge ! – Asteroid City est une plongée nostalgique dans l’Americana des années 1950 ! ça passe ou ça casse : nous, on adore !
21 juin 2023 en salle / 1h46min / Comédie dramatique
De Wes Anderson
Avec Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Adrien Brody, Tom Hanks, Tilda Swinton, Maya Hawke (III), Steve Carell, Matt Dillon, Hong Chau, Edward Norton, Willem Dafoe…
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