The lost king, Stephen Frears, 29 mars

Les réalisateurs et réalisatrices britanniques adorent mettre en image le combat de petits David contre des méchants Goliath. Ils ont même réussi à subvertir cette opposition mythologique en récit social. Ainsi, dans The Duke, un film de Roger Michell sorti en 2022, Jim Broadbent incarnait un sexagénaire gauchiste, régulièrement inquiété par les forces de l’ordre, à cause de son militantisme tout azimut. Ce film était inspiré d’un fait réel : le procès de Kempton Bunton  qui exigeait l’abrogation de la taxe audiovisuelle pour les vétérans et invalides de guerre et s’était rendu coupable du vol d’un tableau de Goya. Qu’on songe aussi à des films à l’esprit plus collectif comme The Full Monty (1997), l’histoire d’un groupe de chômeurs ou de représentants de la working class de Sheffield qui décident de s’improviser chippendales pour enfin sortir de la misère, et peut-être aussi s’offrir un peu de rêve. Le lieu de l’action et les ressorts comiques sont différents dans Dream Horse, sorti en 2021, mais l’énergie déployée par les villageois gallois pour faire de leur cheval un gagnant traduit aussi le désir d’en découdre avec les bourgeois et nobles qui accaparent richesses et honneurs. Dans The Lost King de Stephen Frears, le contexte social est moins prégnant que dans les exemples sus-mentionnés mais, son héroïne, une femme d’une quarantaine d’année usée par son métier sans âme et les tâches familiales, est également une sorte de Don Quichotte qui défie l’establishment et les normes.

Inspiré de faits réels, les recherches de Philippa Langley pour rétablir la vérité autour du roi Richard III et lui offrir une sépulture, le film séduit par son élégance et le jeu subtil de l’actrice principale, Sally Hawkins qui fait montre d’une détermination à toute épreuve sans jamais verser dans la caricature. Philippa a appris à naviguer à contre-courant. Entourée de jeunes collègues aux dents longues malgré leur incompétence manifeste, elle en a marre de ne pas être estimée à sa juste valeur par un chef qui lui préfère de toute évidence les bimbos décérébrées. Rapidement, le film prend un chemin inattendu et sort de l’opposition classique « puissants » – « exploités » en déplaçant son héroïne de son lieu de travail à la campagne anglaise. C’est en se mettant au vert, en rompant avec son train-train quotidien que Sally se découvre de nouvelles ressources.

La destinée individuelle rejoint la grande Histoire : sur les traces d’une figure incomprise et honnie, le fantasmagorique Richard III, Philippa comprend qu’elle doit arrêter de se soucier de l’image qu’elle renvoie. Pour les managers qui méconnaissent les ressources de leur équipe, elle sera toujours cette femme vieillissante atteinte de ME (myalgic encephalomyelitis) et à l’université, malgré sa découverte, les grands pontes continueront à la considérer comme une amatrice. Frears ne s’attarde pas sur les pourris de ce monde, en quelques traits, on comprend que les doctorats et les postes s’octroient en échange de services rendus, que la féodalité n’a pas complètement déserté la fac, et que l’inclusion des handicapés est souhaitable à condition que ces derniers se fassent discrets. Le réalisateur est toujours animé du même désir de justice qui irriguait plusieurs de ces précédents films comme Philomena à propos des filles mères irlandaises à qui l’on avait retiré de force leurs enfants. Mais, au lieu de livrer une diatribe sur le fonctionnement inique de certaines institutions, Frears préfère s’interroger sur le rapport entre réalité et fiction.

La mauvaise réputation dont pâtit Philippa est le pendant de celle du roi. Richard III est devenu le prisonnier du personnage monstrueux écrit et popularisé par Shakespeare. Quant à la pauvre employée de bureau, elle n’arrive plus à se débarrasser de l’étiquette de malade que tout le monde s’évertue à lui coller depuis son diagnostic de ME. Mais Frears refuse de verser dans le drame, Philippa devient l’incarnation d’un élan de vie qui fait fi des obstacles et des convenances. Tout le monde la croit folle : elle cache à son ex-mari (interprétée avec élégance par Steve Coogan) qu’elle déserte son lieu de travail depuis plusieurs jours. Les professeurs de fac britanniques la prennent de haut : elle rejoint un club de passionnés qui lui fournissent d’autres pistes et contact de recherche. A l’opposé de la cantatrice Florence Foster Jenkins (une autre héroïne de Frears) qui refusait de se se confronter à la réalité – elle chantait faux – Philippa est bien consciente de ses faiblesses et difficultés mais sa force tranquille lui permet de remuer ciel et terre.

The Lost King est un feel good movie comme seuls savent en réaliser les anglais. Avec une anti héroïne crédible et ce qu’il faut de critique sociale, sans oublier quelques envolées au pays de l’absurde et du nonsense, histoire de rappeler au spectateur que les vrais cons sont ceux qui se prennent toujours au sérieux.

29 mars 2023 en salle / 1h49min / Comédie dramatique, Drame, Comédie
De Stephen Frears
Par Steve Coogan, Jeff Pope
Avec Sally Hawkins, Steve Coogan, Harry Lloyd

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.