Grand Paris, de Martin Jauvat, 29 mars 2023

Deux potes qui résident en banlieue parisienne se retrouvent embarqués dans une drôle de chasse au trésor après la découverte d’un mystérieux artefact sur le chantier du Grand Paris. S’il a pour cadre les départements limitrophes de Paris, ce premier long-métrage de Martin Jauvat, n’est pas à proprement parler un film de banlieue. Alors oui, Leslie et Renard, en survêts Adidas et Nike, passent la plus grande partie de leur temps à glander quand ils ne trempent pas dans des combines foireuses. Mais, très vite, Martin Jauvat – qui connaît bien son sujet, il a grandi à Chelles – parsème le récit balisé du jeune banlieusard d’indices qui rendent ces deux portraits bien plus complexes, à mille lieues des stéréotypes auxquels le cinéma nous a habitués.

Il y a quelque chose de profondément émouvant dans la manière dont le réalisateur filme ses personnages. L’errance nocturne de Leslie et Renard est prétexte à plein de rencontres amusantes qui par petites touches, dessinent avant tout le mille-feuille social, culturel et professionnel de la banlieue aujourd’hui. De l’antenne de radio-diffusion de Romainville à la station de bus Pommiers-Cimetière de Pantin, en passant par Saint Rémy lès-Chevreuse, la pyramide de Cergy-Pontoise et la gare de la Hacquinière dans l’Essonne, on ne consomme pas les mêmes drogues qu’on ait grandi en banlieue pavillonnaire ou en tour HLM. Cannabis pour les galériens du RER contre cocaïne pour les fils à papa avec jardin et véranda. Les uns ont été pris à Science Po, les autres découvrent la mer pour la première fois. En dépit de ces différences de classes, un point commun entre tous ses jeunes du Grand Paris : l’ennui qu’on trompe à coup de soirées arrosées, de jeux de séduction qu’on sait voués à l’échec dès la première minute, et de discussions à bâtons rompus, afin de refaire le monde à défaut de pouvoir voyager.

Le film le montre bien, le sentiment d’étrangeté, la sensation de sur-place des deux héros principaux qui semblent ne pas progresser dans la vie, sont aussi liés à leur capacité de se mouvoir : rapidement et partout. Or, quand des incidents techniques vous clouent littéralement au sol, quand il faut marcher des dizaines de kilomètres pour atteindre un point de desserte ou lorsqu’il faut attendre des heures avant de voir passer un bus, Paris, même à quelques dizaines de kilomètres, n’a jamais semblé aussi loin. Si les enjeux sociaux sont bien présents en arrière plan – l’un des héros prononce d’ailleurs le gros mot de « gentrification » – le film choisit le parti pris de la loufoquerie pour évoquer le devenir des habitants du grand Paris après l’achèvement de chantier. Annexion à Paris comme ce fut le cas pour les communes de La Villette et de Belleville en 1859 ou au contraire ghettoïsation davantage marquée, avec des usagers empruntant de nouvelles lignes de transport pour se déplacer rapidement de banlieue à banlieue mais sans jamais plus traverser Paris ? A moins que le grand chantier ne soit qu’une gigantesque cover-up (couverture en langage conspirationniste) ?

Outre son ton décalé, le film de Martin Jauvat se distingue par ses réparties cocasses et une chouette utilisation de la musique qui dialogue non stop avec les punchlines des héros. Grand Paris est un film frais, sympa, original. Les acteurs, l’émouvant Mahamadou Sangaré, William Lebghil, Sébastien Chassagne, lunaire, Erwin Aureillan, Marguerite Thiam (ils sont trop nombreux pour les citer tous) et bien sûr Martin Jauvat dans le rôle de Renard, fan d’Indiana Jones, ont vraiment la pêche ! Alors chaussez vos baskets pour une folle virée aux 4 coins de l’Île de France !

29 mars 2023 en salle / 1h12min / Comédie
De Martin Jauvat
Avec Mahamadou Sangaré, Martin Jauvat, William Lebghil, Sébastien Chassagne, Erwin Aureillan, Marguerite Thiam…