Le Lion et les trois brigands, de Rasmus A. Sivertsen, 15 mars
Le cinéma d’animation norvégien tient en la personne du réalisateur Rasmus A. Sivertsen un excellent ambassadeur. Depuis près d’une décennie, il ravit petits et grands avec des films drôles, originaux et rythmés qui font découvrir au public international des trésors de littérature enfantine norvégienne. En France, KMBO a distribué plusieurs films de Sivertsen, notamment Le voyage dans la lune et La grande course au fromage , avec Solan, le canard fanfaron, Feodor l’inventeur génial, et Ludvig le hérisson timide, des personnages inspirés de l’univers de l’illustrateur Kjell Aukrust.
Avec son nouveau film Le lion et les trois brigands, Rasmus. A. Sivertsen adapte un autre chef d’œuvre des livres pour enfants norvégiens, When the Robbers Came to Cardamom Town de Thorbjørn Egner. Ce récit est si connu et apprécié en Norvège qu’il existe même un parc à thème à son nom où l’on retrouve les décors et les personnages du livre original.
Réalisé en stop motion, Le lion est les trois brigands est un film surprenant. Moins par son animation, somme toute assez traditionnelle, que par le message qu’il véhicule. Dès les premières notes de musique – car le film se double d’une comédie musicale entraînante – le spectateur est plongé dans une drôle de village peuplé de non moins étranges habitants.
Réalisateur et auteur ont beau être tous deux norvégiens, le village des héros du film, Cardamome, se distingue par ses bâtisses aux murs blancs qui brillent aux portes du désert. Exit la forêt d’Oukybouki : les orangers ont remplacé les conifères, aucun fjord à l’horizon. On se croirait à Ronda, en Andalousie ! Normal, Egner avait visité le Maroc avec sa famille dans les années 1940 et il avait été impressionné par Essaouira.
Très vite, on se rend compte que quelque chose cloche à Cardamome. Le village a beau être qualifié de paisible, trois brigands rôdent et commettent menus larcins à la nuit tombée. Ils sont d’ailleurs là, en plein jour, lors de la fête annuelle, assistant sur un arbre perchés au spectacle donné par les éminents membres de cette respectable communauté. Je ne connais pas le texte d’origine mais l’adaptation cinématographique est, à bien des égards, subversive. Tout fan de SF a appris à se méfier des héros propres sur eux ou des villes idéales, dans de nombreux récits d’anticipation, le voisinage idéal cache souvent des abîmes de monstruosité. Au début du film, Le Lion et les trois brigands sème le doute : le commissaire de police qui prêche l’entraide et la joie de vivre serait-il un bon à rien incapable de faire régner l’ordre ? La pâtissière et le charcutier qui se font dévaliser vont-ils laisser libre cours à leur soif de vengeance ?
C’est d’ailleurs un personnage d’outsider, une vieille-fille en apparence acariâtre, qui pointe du doigt, à travers une chanson endiablée, tous les problèmes de Cardamome devant une assistance médusée de tant de franc-parler. Le personnage de Tante Sophie (dont les chansons – paraît-il – sont connues de tous les norvégiens) est très intéressant car il bouleverse tous les stéréotypes de genre. Caricatural, il l’est, car c’est une ménagère hors pair. Mais, c’est aussi une femme qui parvient à émouvoir l’un des brigands et qui, à sa manière, lutte contre une certaine hypocrisie générale. Le « vivre ensemble » c’est bien mais à condition de pouvoir être honnête les uns envers les autres.
On ne va pas détailler toutes les péripéties des habitants de Cardamome. Sachez juste que rien ne manquera : du vol de tramway au kidnapping en passant par l’incendie. Mais au final, le bien triomphera. Pas parce que les habitants ont fermé les yeux sur les exactions des trois brigands et de leur lion, pas parce que Tante Sophie a cessé de crier haut et fort ses quatre vérités, mais parce que chacun a trouvé la place qui lui allait le mieux au sein du village. Peut-être que certains spectateurs seront rétifs à l’approche libérale de la justice qui est véhiculée par le happy-end du film. Mais, même si un village comme Cardamome relève de l’utopie, Le lion et les trois brigands se déguste comme une kanelboller , offrant au spectateur un doux moment Kos (l’équivalent du hygge suédois).
15 mars 2023 en salle / 1h20min / Animation, Famille, Aventure
De Rasmus A. Sivertsen
Par Karsten Fullu, Ingrid Haukelidsæter
Titre original : Folk og røvere i Kardemomme by
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