Pierre Dac : deux livres au Cherche-Midi
Mais qui était vraiment Pierre Dac, humoriste farfelu, créateur de l’hebdomadaire l’Os à la moelle, du Parti d’en rire, et du MOU (Mouvement ondulatoire unifié) ? Héros à l’armistice de 1918 (cité quatre fois à l’ordre de la nation), chansonnier dans l’entre-deux guerre, résistant de la première heure aux côtés du Général de Gaulle, Dac, née André Isaac sur la butte de Montmartre, est avant tout un loufoque pour qui l’absurde est une saine manière de voir la vie. Il n’a ni Dieu ni maître, et n’hésite pas à user et abuser d’humour pour combattre les puissants vaniteux qu’il abhorre tant.
Pierre Dac, c’est d’abord un style littéraire qui parvient à traverser près d’un siècle, contre vents et marées, évoluant avec l’apparition de nouveaux médias de communication. Le feuilleton radiophonique Signé Furax qui attire des millions d’auditeurs consacre l’humoriste dans les années 1950 mais c’est une rencontre décisive avec un chansonnier marseillais, Roger Toziny, qui scelle son destin. Le jeune Dac écume alors les cabarets de Pigalle, Montmartre et Clichy. Trop timide pour s’imposer sur scène, il a juste obtenu le droit de manger et boire à l’œil (ce qui n’est pas rien dans l’après-guerre!) à La Muse Rouge en échange d’une chanson, reprise en cœur par les révolutionnaires qui hantent le lieu. Alors qu’il traîne devant La Vache enragée, il tombe nez à nez avec Toziny qui le pousse à passer une audition. Dac, paralysé par le trac, débite les premières inepties qui lui viennent à l’esprit :
« Les meilleurs moments de la vie à deux, c’est quand on est tout seul (…) Si tous ceux qui croient avoir raison n’avaient pas tort, la vérité ne serait pas loin. »
Toziny, amusé, pressent que le petit Isaac André, rebaptisé Pierre Dac, ira loin… Si certains spectateurs quittent la salle où se produit Dac, la plupart se fendent la poire en entendant ses maximes absurdes. Héritier du poète Charles Cros ou d’Alphonse Allais, Pierre Dac développe un style de calembour qu’il reprendra pour Les Petites Annonces de l’Os à Moelle, modèle d’humour « non-sense », régulièrement rééditées sous forme d’anthologie depuis la mort de l’humoriste.
Le Cherche-Midi a justement publié en décembre 2013 l’intégrale des petites annonces de l’Os à Moelle. Elles sont regroupées dans différents chapitres selon un classement thématique (offres d’emploi, occasions, cours et leçons, perdu-trouvé…)… Une courte introduction signée Jacques Pessis, légataire universel de Pierre Dac, resitue la parution des annonces dans leur contexte historique.
Les petites annonces de Pierre Dac paraissent pour la première fois le vendredi 13 mai 1938 à la quatrième page du numéro 1 de l’Os à Moelle. C’est une réussite immédiate : 400 000 exemplaires du quotidien s’écoulent immédiatement. Au début de la seconde guerre mondiale, L’os à Moelle tente vaille que vaille d’entretenir le moral des Français, les petites annonces militaires du type « Commandant compagnie tirailleurs sénégalais demande dame du monde pour organiser 5 à 7 » mais la publication du journal est interrompue le 7 juin 1940 avec l’arrivée des allemands à Paris. La suite, on la connaît : Dac prendra la voie des airs pour rejoindre le général de Gaulle à Londres, rejoignant les rangs des « français qui parlent aux français. » En 1946, les annonces tentent un come-back mais le succès n’est pas au rendez-vous. Il faudra attendre le milieu des années 1960 pour qu’elles reparaissent avec les contributions de jeunots à l’humour vachard : Francis Blanche, Jean Yanne et René Goscinny, en dignes successeurs de Pierre Dac.
L’anthologie publiée par le Cherche-Midi bénéficie d’une ligne graphique soignée : les petites annonces se détachent de manière très agréable avec différentes typographies, facilitant la lecture de ce qui aurait risqué – sans une réelle réflexion sur leur mise en page- de se transformer en somme indigeste. Le format compact de l’ouvrage permet de le transporter partout : dans le métro, au travail etc… Si l’on aurait pu craindre que l’humour de Dac ne soit un peu daté, il n’en est rien et les Les Petites Annonces de l’Os à moelle, L’Intégrale publié au Cherche-Midi, constitue un livre idéal à offrir.
Pierre révélait finalement peu de sa personne dans les sketches ou écrits qui l’ont rendu célèbre. On se jettera donc sur l’édition revue et augmentée de la célèbre biographie que son neveu adoptif Jacques Pessis lui a consacré en 2005, Pierre Dac mon maître 63. L’auteur évite assez bien l’écueil de l’hagiographie ou du récit admiratif anecdotique pour dresser le portrait subtile d’un homme multi-facettes, clown triste, prône aux accès de mélancolie, marqué à vie par l’antisémitisme dont il fut victime pendant la seconde guerre mondiale. A la lecture d’un pamphlet publié par Philippe Henriot en 1944 contre Pierre Dac, impossible de ne pas penser au Le Nom de la Rose d’Umberto Ecco qui montrait pourquoi, de tous temps, le rire effraie les esprits totalitaires : « Incapable bien entendu de travailler à la grandeur d’un pays qui n’était pour lui qu’un pays de séjour passager, une provisoire terre promise à exploiter, il se consacra à l’œuvre à laquelle tant de ses pareils se sont employés (…) Une sorte d’esprit desséchant et ricaneur, une perpétuelle aspersion d’ironie sur tout ce qu’on avait l’habitude de respecter, une sottise corrosive à force d’être poussée à l’extrême lui firent une clientèle… »
En ces temps où certains appellent à s’indigner (mais dans quel but finalement ?), l’humour corrosif de l’homme qui affirmait « je suis pour tout ce qui est contre et contre tout ce qui est pour » constitue une bouffée d’oxygène.
- Pierre DAC – Les Petites Annonces de l’Os à moelle, L’Intégrale
Présentation : Jacques PESSIS / Collection Le Sens de l’humour
05 décembre 2013 / ISBN : 978-2-7491-2910-5 / 18 € ttc
- Pierre Dac, mon maître 63 (nouvelle édition) de Jacques Pessis. Collection Documents /05 décembre 2013
ISBN : 978-2-7491-3382-9 / 21,80 € ttc
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